jeudi, 07 février 2019
René Guénon et le Régime Écossais Rectifié
Éclaircissements au sujet des méprises et incompréhensions de Guénon, et de ses disciples,
à l’égard de la doctrine des Élus Coëns,
de l’Ordre des Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte,
et de la théosophie de Louis-Claude de Saint-Matin
On sait la profonde et durable incompréhension envers la pensée de Martinès de Pasqually (+ 1774) et les pratiques et méthodes observées par l'Ordre des Chevaliers Maçons Élus Coëns de l'Univers, sa significative réserve s'agissant de la théosophie de Louis-Claude de Saint-Martin (1743-1803), et ses vives critiques à l'égard du Rite Écossais Rectifié - ou plus exactement du « Régime Écossais Rectifié » puisqu’il s’agit d’un système complet et cohérent possédant une architecture formant une totalité organisationnelle -, positions et attitudes constantes qui traverseront et caractériseront les différentes analyses effectuées par René Guénon (1886-1951) chaque fois qu'il abordera des questions relatives à ces sujets, et sur lesquelles il ne jugea pas utile de revenir.
En effet, les jugements de Guénon se signaleront toujours dans son œuvre par une nette minoration de la valeur intrinsèque de ces trois branches distinctes, et pourtant très proches, formant presque un identique courant, une quasi unique « famille » du point de vue spirituel possédant cependant leurs sensibilités propres qu’il importe de ne point ignorer ni de nier, dont l'influence fut considérable en Europe au XVIIIe siècle au sein de ce qu’il est convenu d’appeler « l'illuminisme ».
La profonde méconnaissance de Guénon à l’égard des richesses de l’ésotérisme occidental, alors qu’il ignorait l’allemand et ne s’intéressa jamais aux principaux auteurs de langue germanique, explique peut-être sa conviction s’agissant de la nécessité de s’ouvrir aux « lumières de l’Orient » qu’il identifiait avec l’image qu’il se faisait de la « tradition ésotérique », négligeant, faute des les avoir étudié et approfondi sérieusement, les fondements propres du vénérable héritage théosophique d’Occident passablement écarté de sa réflexion. L’aboutissement de cette ignorance de Guénon à l’égard des sources, notamment germaniques, de l’ésotérisme occidental, est connu – celle-ci se doublant de la non reconnaissance de la valeur propre des « lumières » originales du christianisme -, soit l’impérative nécessité de s’ouvrir aux enseignements orientaux afin d’accéder aux méthodes capables de nous conférer les « outils de réalisation » dont nous serions dépourvus, ce qui l’amena logiquement à déclarer en 1935 : « L’islam est le seul moyen d’accéder aujourd’hui, pour des Européens, à l’initiation effective (et non plus virtuelle), puisque la Maçonnerie [1] ne possède plus d’enseignement ni de méthode [2].»
I. Les cinq « erreurs » principales de René Guénon
Les cinq « erreurs » principales de René Guénon, dont la mise en lumière lors de la première édition de notre étude en 2007, déclencha les réactions passionnées et passionnelles s’accompagnant bien évidemment de l’inutile verbiage polémique dénué d’intérêt dont on imagine qu’il fait impression auprès des lecteurs non-avertis, et dont les autoproclamés « continuateurs » et « défenseurs » de la cause guénonienne, par l’effet d’un mimétisme relativement ridicule et d’un manque d’originalité signalant une certaine limite intellectuelle, se croient souvent obligés d’accompagner leurs laborieux persiflages -, se résument à cinq motifs principaux :
- 1°) René Guénon refuse d’admettre que le Régime Écossais Rectifié est une métamorphose des Élus Coëns, et non pas une simple dérivation de la Stricte Observance.
- 2°) René Guénon s’est trompé sur l’architecture organisationnelle du Régime Écossais Rectifié.
- 3°) René Guénon déprécia les « opérations » des Élus Coëns, soutenant qu’il s’agissait de rituels de “magie cérémonielle”, basés sur des pratiques théurgiques ; considérant par ailleurs que ce que Martinès appelait « réintégration » n’était que la restauration de « l’état primordial », lequel ne va pas au-delà des possibilités de l’être humain individuel.
- 4°) René Guénon ne voit pas en quoi, lorsque Jean-Baptiste Willermoz écarta « Tubalcaïn » des rituels du Régime Rectifié, il mit en fait en cohérence la nature de l’Ordre avec le « Haut et Saint Ordre » des élus de l’Éternel.
- 5°) René Guénon affirme de façon inexacte, que Louis-Claude de Saint-Martin, s’est enfermé dans le domaine du mysticisme, et par là-même s’est mis à distance de la voie initiatique, jugeant de manière absurde, que le « mysticisme relève exclusivement du domaine religieux, c’est-à-dire exotérique »
II. Le Régime Écossais Rectifié et sa nature « non-apocryphe »
Première assertion singulièrement faussée soutenue par René Guénon : le Régime Écossais Rectifié ne serait pas une métamorphose des Élus Coëns, mais une dérivation de la Stricte Observance.
Essayons de mettre en lumière la réalité des faits.
Lorsqu’en 1778 lors du Convent des Gaules, Jean-Baptiste Willermoz (1730-1824) donne naissance à l'Ordre des Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte, cette décision va réformer et « rectifier », c’est-à-dire « transformer » en une sorte de mutation complète et radicale, non pas seulement la structure organisationnelle à laquelle il fait subir une refonte complète en repositionnant et modifiant les Grades, mais surtout, et en premier lieu la perspective spirituelle et initiatique de la Stricte Observance, car il s’agissait de faire des enseignements de Martinès de Pasqually la base doctrinale et le fondement premier de cet « Ordre » entièrement nouveau connu sous le nom de « Régime Écossais Rectifié », qui n’a, en effet, strictement plus rien à voir avec de la maçonnerie templière. [3]
Ainsi, le programme de la « Réintégration », sous la forme d'un ensemble théorique et pratique, structuré et organisé, établissait le Régime Écossais Rectifié en un efficace instrument de préservation et un authentique « conservatoire » vivant de l'enseignement détenu par les Réaux-Croix, et, de ce fait, l'actif dépositaire de la doctrine martinésienne ainsi que de « l’influence spirituelle » coën authentique et véritable qu'il reste, et restera le seul sur le plan historique à détenir validement et légitimement de par le caractère ininterrompu de la chaîne le reliant à l’Ordre des Chevaliers Maçons Élus Coëns de l’Univers.
Que demeura-t-il de la Stricte Observance après cette « Réforme » de Lyon, qui s’accompagna, d’un renoncement préalable à la « filiation templière, à sa succession et à sa restauration matérielle » [4], contrairement à ce que le baron Karl von Hund avait établi comme but et objectif de son système, décision solennelle de « Renonciation » confirmée de nouveau en 1782 au Convent de Wilhelmsbad ? [5]
La réponse est très simple, strictement plus rien ou presque !
La nature, l’essence et les objectifs de la Stricte Observance, étaient tout simplement changés, les perspectives transformées, et surtout, les sources totalement modifiées, puisque les nouveaux rituels, qui écartaient et remplaçaient purement et simplement ceux utilisés auparavant, nouveaux rituels rédigés par Willermoz en personne, faisaient apparaître dans tout ce qui concerne l’environnement et le contenu symbolique des loges (batteries, couleurs, nombres, éléments, décors, etc.), l’ensemble du corpus initiatique martinésien. [6]
Or, que trouva à répondre René Guénon à la remarque, plus que justifiée, que lui fit Gérard van Rijnberk, s’étonnant légitimement que l’on puisse à ce point se méprendre sur ce que représentait désormais le Régime Écossais Rectifié ? [7] Les propos suivants, qui démontrent une singulière obstination dans l’erreur : « Il trouve “étonnante” notre remarque que “le Régime Écossais Rectifié n’est point une métamorphose des Élus Coëns, mais bien une dérivation de la Stricte Observance” ; c’est pourtant ainsi, et quiconque a la moindre idée de l’histoire et de la constitution des Rites maçonniques ne peut avoir le moindre doute là-dessus ; même si Willermoz, en rédigeant les instructions de certains grades, y a introduit des idées plus ou moins inspirées des enseignements de Martines, cela ne change absolument rien à la filiation ni au caractère général du Rite dont il s’agit… » [8]
S’en tenant à une conception « administrative » de l’initiation, Guénon faisait ainsi la démonstration qu’il était dans l’incapacité de percevoir, ou d’admettre, la nature de ce système nouvellement édifié, qui n’était point, à l’évidence, une « dérivation de la Stricte Observance », mais bien une « métamorphose des Élus Coëns », une « métamorphose » opérée non pas seulement par l’introduction de l’appareil symbolique dont les rituels du Régime Rectifié étaient désormais le véhicule, mais de la doctrine des Élus Coëns, ce point étant essentiel pour distinguer ce qui relève, ou non, selon les critères martinésiens, une maçonnerie « apocryphe » ou « non apocryphe », faisant que le Régime Rectifié peut être en conséquence considéré de façon formelle et incontestable comme « l’Ordre substitué », renfermant les « connaissances mystérieuses » qui se trouvaient chez les élus coëns [9], lui conférant cette qualification qui seule est accordée aux structures dépositaires de la doctrine de la « réintégration », à savoir de système « non-apocryphe ». [10]
En conséquence, contrairement à ce que soutint fautivement Guénon, ces apports et ces modifications ayant abouti à une « métamorphose » complète de la Stricte Observance, ont changé absolument et objectivement tout à la filiation et au caractère général du Rite dont il s’agit.
III. Le Régime Écossais Rectifié est le témoin du « Haut et Saint Ordre »
Mais il y a un autre point qui échappa à Guénon dans cette question, et qu’il ne pouvait connaître, puisque certains rituels du Régime Rectifié lui étaient inaccessibles à l’époque où il rédigeait ses articles, notamment ceux de « l’Ordre Intérieur » [11], c’est que lors de la « constitution » de l'Ordre des Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte en 1778, qui remplaça l’Ordre de chevalerie de la Stricte Observance, Jean-Baptiste Willermoz conféra ce nom à une forme traditionnelle de transmission qu'il considérait comme extrêmement ancienne, bien plus antique encore que l'Ordre du Temple lui-même et dont le Régime Rectifié conserve aujourd'hui l'héritage.
L'Ordre primitif doit être secret, parce qu'il a un but essentiel très élevé,
que peu d'hommes sont dignes de connaître...
a) L’Ordre primitif qui se dissimule sous le voile de la Franc-maçonnerie
Cet Ordre, très ancien, qui se dissimula un temps sous le voile de la Franc-maçonnerie, et qui reste et demeure caché au plus grand nombre, Willermoz le désigne sous le titre mystérieux de « Haut et Saint Ordre » ; Ordre primitif qui, « à défaut de pouvoir être nommé, ne peut être appelé que le Haut et Saint Ordre », à la base de la véritable initiation, et ne doit absolument pas être confondu avec les formes contingentes qu'empruntent, pour un temps limité, les institutions se consacrant à l'étude des « sciences sacrées » et à la perfection des hommes. [12]
On prendra donc soin, en observant une particulière attention sur ce point clé, expliquant et sous-tendant toute l'entreprise willermozienne, de se souvenir que l'intention qui présida à l'action du disciple lyonnais de Martinès de Pasqually, lors de la tenue des Convents constitutifs du Régime Écossais Rectifié, fut de préserver et conserver un héritage fondamental, de nature doctrinal et opératif, et que c'est cet héritage qui constitue le cœur du Régime, mais également le vénérable et inestimable dépôt primitif détenu, précisément, par le « Haut et Saint Ordre » : « L'institution maçonnique ne peut ni ne doit être confondue avec l'Ordre primitif et fondamental qui lui a donné naissance ; ce sont en effet deux choses distinctes. L'Ordre primitif doit être secret, parce qu'il a un but essentiel qui est très élevé, que peu d'hommes sont dignes de connaître ; son origine est si reculée, qu'elle se perd dans la nuit des siècles ; tout ce que peut l'institution maçonnique, c'est d'aider à remonter jusqu'à cet Ordre primitif, qu'on doit regarder comme le principe de la franc-maçonnerie ; c'est une source précieuse, ignorée de la multitude, mais qui ne saurait être perdue : l'un est la Chose même, l'autre n'est que le moyen d'y atteindre ; c'est sous ce point de vue, mon B.A.F., qu'il faut considérer la franc-maçonnerie en général, et le Régime particulier auquel vous êtes attaché, si vous voulez en avoir une juste idée, et en retirer quelque fruit.» [13]
b) D’où provient « l’Ordre primitif et fondamental» dont le Régime Rectifié tire son origine ?
Dès lors une question s’impose : d’où provient cette « source pure et sacrée », c’est-à-dire cet « Ordre primitif et fondamental » désigné par Willermoz sous le nom de « Haut et Saint Ordre », dont le Régime Rectifié tire son origine ?
La réponse, qui fait justice des inexactitudes de Guénon et de ses continuateurs dans l’erreur, est celle-ci : la source d’où le Régime Rectifié tire son origine, provient, non de la Stricte Observance comme il apparaît évidemment, mais de l’Ordre des Chevaliers Maçons Élus Coëns de l’Univers qui a fait le lien au XVIIIe siècle, avec le « Haut et Saint Ordre », Ordre essentiel et fondamental des élus de l’Éternel, dont les Élus Coëns furent le relais, Ordre qui remonte jusqu’à l’époque patriarcale et possède la connaissance des éléments du « culte primitif » que pratiquait Adam, auxquels, sans le savoir le plus souvent mais cependant de façon formelle, les membres du Régime sont agrégés et rattachés sur le plan initiatique.
Ceci explique pourquoi la perspective spirituelle dans laquelle pénétrait l’émule admis dans « l’Ordre des Élus Coëns » - relevant du « culte primitif » se célébrant en quatre temps et se déployant en quatre parties distinctes, quoique liées entre-elles : « expiation », « purification », « réconciliation » et « sanctification », « culte » que Seth fut en mesure de préserver puisqu’il était l’enfant qu’Adam et Ève conçurent après la mort d’Abel, devenant logiquement l’ancêtre de tous les « opérateurs » et les « théurges », culte qui, après le déluge, fut poursuivi par Noé à qui il appartiendra de perpétuer la descendance de Seth, constituant la descendance pure à laquelle étaient agrégés les Coëns [14] -, est exclusivement la prérogative spirituelle du « Haut et Saint Ordre » dont le Régime Écossais Rectifié est à présent le seul et unique témoin sur le plan initiatique, en ayant succédé, dans cette détention des éléments du « culte primitif » et connaissance de la doctrine de la « réintégration », à « l’Ordre des Chevaliers Maçons Élus Coëns de l’Univers », dirigé, comme l’évoquent les 14 étendards figurant sur le sceau de l’Ordre, par les 7 Suprêmes Conseils et leurs 7 Souverains établis sur la surface de la terre.
« Sceau des Élus Coëns » [15]
Publié dans Doctrine, Ésotérisme, Franc-maçonnerie, Histoire, Illuminisme, Jean-Baptiste Willermoz, Joseph de Maistre, Louis-Claude de Saint-Martin, Martinès de Pasqually, Martinésisme, Martinisme, Mystique, Régime Écossais Rectifié, Religion, René Guénon, Saint-martinisme, Spiritualité, Tradition | Lien permanent | Tags : rené guénon et le régime Écossais rectifié, rené guénon, jean-marc vivenza, louis-claude de saint-martin, franc-maçonnerie, initiation, ésotérisme, martinisme, martinès de pasqually, illuminisme, pasqually, théosophie, tradition, vivenza, histoire, spiritualité, jacob boehme, origène, fénelon, christianisme transcendant, christianisme, doctrine de la réintégration, réintégration, religion, mystique, origénisme, émanation, philosophie, joseph de maistre, saint augustin, jean-baptiste willermoz, régime écossais rectifié, convent des gaules, convent de wilhelmsbad, grande profession, rite écossais rectifié, grand directoire des gaules, grand prieuré des gaules, camille savoire, johann august von starck, swedenborg, élus coëns, martinésisme | | | Facebook | |
dimanche, 05 novembre 2017
Histoire du Régime Écossais Rectifié des origines à nos jours
Lumières et vérités, sur l'histoire, les origines, le but
et l’état contemporain de l’Ordre
Ouvrage comportant des pièces d’archives inédites,
dont la copie du Registre du Collège Métropolitain
avec la liste des Grands Profès de 1778 à 1880.
L’histoire du Régime Écossais Rectifié, l’une des plus anciennes institutions maçonniques et chevaleresques françaises de par l’héritage des IIe, IIIe et Ve Provinces de la « Stricte Observance » allemande, s’étend sur plusieurs siècles. Cette histoire, de nature providentielle, qui traversa même une phase de sommeil lors de l’extinction de l’Ordre en France entre 1830 [1] et 1935, constituée en temps distincts fort différents, est longue, riche d’événements multiples, de moments fondamentaux, de décisions essentielles, de personnalités souvent hors du commun, de rencontres surprenantes, de situations heureuses mais aussi parfois tragiques, d’enthousiasmes magnifiques, d’engagements admirables.
Le système établi à Lyon lors du « Convent des Gaules » (1778), en tant qu’institution originale et spécifique - ce qu’il est incontestablement au regard de l’Histoire – se signale donc par une « continuité » qui seule explique, et permet de mieux comprendre la nature propre de la structure édifiée, par étapes successives, en tant qu’Ordre et Régime, l’un n’allant pas sans l’autre, en France par Jean-Baptiste Willermoz (1730-1824).
« La Franc-maçonnerie bien méditée vous rappelle sans cesse
et par toutes sortes de moyens, à votre propre nature essentielle.
Elle cherche constamment à saisir les occasions de vous faire connaître
l'origine de l'homme sa destination primitive,
sa chute, les maux qui en sont la suite,
et les ressources que lui a ménagées la bonté divine pour en triompher. »
(Jean-Baptiste Willermoz, 1809)
I. Le Régime Écossais Rectifié est un « Ordre », issu de l’enseignement des élus coëns
Cette notion « d’Ordre », qui fut la colonne ordonnatrice et la ligne directrice de l’ensemble de l’œuvre willermozienne [2], est essentielle pour la compréhension de notre sujet, notion clairement définie par Willermoz lui-même en ces termes : « J'entends par le mot Ordre, l'ordre maçonnique intérieur et secret du Régime rectifié.» [3]
Il convient cependant de rappeler que l’Ordre des Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte, qui coiffe et dirige le Régime Écossais Rectifié, est porteur d’une base spirituelle et d’un héritage historique directement issus des enseignements de Martinès de Pasqually (+ 1774), enseignements christianisés lors des Leçons de Lyon (1774-1776) ; qui écartèrent les éléments problématiques contenus dans les thèses martinésiennes, notamment ceux touchant à la christologie et à la conception trinitaire du thaumaturge bordelais.
« Le but de Willermoz était donc de préserver la doctrine
dont Martines de Pasqually avait été,
selon que ce dernier lui avait enseigné,
l’un des relais seulement ; maintenir,
quand sombrait l’ordre des Elus Cohen,
la vraie Maçonnerie selon le modèle que Martinès de Pasqually
lui avait révélé comme l’archétype et que garantit
une conformité doctrinale avec la doctrine de la réintégration. »
Néanmoins, ce qui unit profondément le Régime Écossais Rectifié à la doctrine martinésienne, participe d’une incontestable et directe filiation dont la classe secrète, ultime et dernière de l’Ordre, dite de la « Grande Profession », en toute logique, fut détentrice de par les éléments propres qui y seront déposés par Jean-Baptiste Willermoz, ne l’oublions pas, détenteur en tant que Réau+Croix, de l’intégralité de la transmission coën, ceci sans préjudice d’une aide bienveillante reçue directement de Louis-Claude de Saint-Martin (1743-1803), comme nous l’indiquent positivement les termes d’une lettre de 1784 écrite par le Philosophe Inconnu au réformateur lyonnais : « …j’attends en conséquence que vous autorisiez vos lieutenants à me confier la lecture de la rédaction des grades dont vous m’avez parlé cet été et dont je vous dis que je ne me permettrais pas la demande. En effet si vous ne m’aplanissez les voies sur cela, je verrais cent ans tous les membres de La Bienfaisance que je ne leur en ouvrirais pas la bouche. » [4].
Ce point ne souffre donc aucune contestation : « Le but de Willermoz était donc de préserver la doctrine dont Martines de Pasqually avait été, selon que ce dernier lui avait enseigné, l’un des relais seulement ; maintenir, quand sombrait l’ordre des Elus Cohen, la vraie Maçonnerie selon le modèle que Martinès de Pasqually lui avait révélé comme l’archétype et que garantit une conformité doctrinale avec la doctrine de la réintégration. » [5]
II. La « doctrine de la réintégration des êtres » est l’essence du Régime rectifié
En conséquence, pour que l’approche du Régime Écossais Rectifié soit exacte et véritable, il est nécessaire de connaître précisément les détails marquants de son « histoire », ainsi que - et cet aspect est loin d’être auxiliaire tant il définit philosophiquement sa nature -, les bases de la « doctrine de la réintégration » dont il est le dépositaire par excellence à travers l’Histoire en raison d’une filiation ininterrompue depuis le XVIIIe siècle lui conférant une légitimité à bien des égards unique, de sorte que de cette connaissance puissent surgir, comme de par une évidence s’imposant quasi naturellement, les conditions de son existence et de son devenir en ce début de XXIe siècle.
Pourtant, l’éloignement qui est advenu d’avec les lois organisatrices du Régime depuis son réveil en mars 1935, s’est doublé d’un second, non moins important, qui découle d’ailleurs du premier et en est la conséquence quasi logique : l’essence de la rectification, outre un Rite original et une pratique spécifique s’exerçant en quatre grades formant la classe symbolique et un Ordre intérieur d’essence chevaleresque distingué en un état probatoire (« Écuyer Novice ») et le grade de « Chevalier Bienfaisant de la Cité Sainte » (C.B.C.S.), possède une doctrine qui le définit et le qualifie sur le plan spirituel, ce qui est un cas tout à fait original et unique au sein de la franc-maçonnerie universelle.
a) La doctrine fut toujours d’instruire les hommes, sur les mystères de la science primitive
« La doctrine ne permet pas d’en douter (...) le principal but de l’initiation
fut toujours d’instruire les hommes,
sur les mystères de la religion et de la science primitive.... »
Jean-Baptiste Willermoz souligne d’ailleurs dans les Instructions destinées à la dernière Classe non-ostensible du Régime : « La doctrine ne permet pas d’en douter ; et en effet, le principal but de l’initiation fut toujours d’instruire les hommes, sur les mystères de la religion et de la science primitive, et de les préserver de l’abandon total qu’ils feraient de leurs facultés spirituelles, aux influences des êtres corporels et inférieurs. Les Initiations devaient donc être le refuge de la Vérité, puisqu’elle pouvait s’y former des Temples dans le cœur de ceux qui savaient l’apprécier et lui rendre hommage. » [7]
Il convient d’insister sur le fait que cet aspect doctrinal, singulièrement défini et précis, confère au système willermozien une originalité à nulle autre pareille en le distinguant entièrement des autres Rites maçonniques, ce qui n’est pas sans provoquer, souvent, de nombreuses incompréhensions. Cet aspect relève donc d’une question importante que l’on peut, à bon droit, désigner comme relevant de l’enjeu qui a pour objet : la réintégration des êtres dans leur première propriété, vertu et puissance spirituelle divine, puisque ce Régime participe de l’expression la plus aboutie du courant « illuministe » français au XVIIIe siècle, et des thèses qui le fondaient en son essence. [8]
Or cet enjeu doctrinal, précisément, qui est le cœur même de la perspective du Régime rectifié, permettant d’en comprendre l’origine, le sens et la vie – un enjeu doctrinal si souvent incompris, et parfois même comme on a eu, hélas ! bien trop souvent à le déplorer depuis des décennies, nié, contourné, refusé, travesti et combattu pour des motifs divers, qui relèvent d’orientations « profanes », qu’elles soient issues de convictions politiques ou théologiques [9], et qui toutes, se caractérisent par leur refus d’accepter et de respecter l’enseignement de l’Ordre -, est ce qui représente la spécificité même du système édifié à Lyon en 1778, en le distinguant, radicalement, de tous les autres systèmes maçonniques.
b) Le Régime Écossais Rectifié est engagé dans la mise en œuvre de la « science de l’homme »
Une certitude doit ainsi accompagner le lecteur tout au long des pages de cet ouvrage, le Régime Écossais Rectifié est engagé, comme le voulurent d’ailleurs ses fondateurs, rien de moins que dans la mise en œuvre de la « science de l’homme » [10], cherchant à construire et édifier, pour ceux qui s’engagent à ses côtés en acceptant de cheminer avec lui vers l’invisible, un destin commun en forme d’invitation à passer « de l’image à la ressemblance » en s’appuyant, avec confiance, sur les principes du « christianisme transcendant » étranger à tout esprit d’étroitesse dogmatique, ceci pour le plus grand bonheur des âmes de désir en quête de la Vérité et celui de toute la famille humaine au bien de laquelle sont, par définition, consacrés ses travaux ; unique esprit et identique volonté dans lesquels est d’ailleurs également proposée cette étude historique dont l’objet premier n’est autre, évidemment, que de contribuer d’abord et avant tout, au rayonnement de l’authentique « Lumière » pour qu’elle soit, enfin, « restituée » à ceux qui étaient séparés de la « Sagesse », et d’œuvrer à la Gloire de « l’Être éternel el et infini qui est la bonté la justice et la vérité même qui, par sa parole toute puissante et invincible, a donné l’être à tout ce qui existe ».
III. Le Régime Écossais Rectifié est fondé sur le « christianisme transcendant »
Le Régime Écossais Rectifié n’est point soumis
aux « dogmes » de l’Église,
il professe un « christianisme transcendant »,
dans le sens où l’entendait Joseph de Maistre.
Il importe de le souligner, le Régime Écossais Rectifié nourri d’un christianisme imprégné de la pensée des premiers siècles, lorsque les lumières de la philosophie grecque se sont mêlées aux éléments de la Révélation de l’Évangile, n’est point soumis aux « dogmes » de l’Église, il professe un « christianisme transcendant », dans le sens où l’entendait Joseph de Maistre (1753-1821), et avec lui l’ensemble des penseurs illuministes [11], c’est-à-dire un christianisme n’imposant la pratique d’aucun culte, ne conditionnant l’initiation à aucune forme ecclésiale de liturgie sacramentelle, et se rattachant à une « doctrine », ce qui signifie un enseignement, selon Jean-Baptiste Willermoz lui-même qui réitéra cette affirmation plusieurs fois, et que l’on ne peut évidemment taxer d’anticléricalisme, mais qui affirmait en sachant précisément et analysant fort lucidement en quoi consistait cette « perte » sur le plan doctrinal de l’Église depuis le VIe siècle [12], ainsi que le soulignait avec justesse Camille Savoire (1869-1951) : « L'Ordre n'a plus, contrairement à ce que prétendent ses détracteurs, aucun lien avec […] les dogmes dans leur conception actuelle... ». [13]
Il s’agit donc pour l’Ordre, comme le voulurent les fondateurs du Régime rectifié au XVIIIe siècle, d’être une véritable « école » de sagesse porteuse d’une doctrine, qui a pour nom « doctrine de la réintégration », celle des êtres dans leur première propriété, vertu et puissance spirituelle divine primitive, et d’édifier une authentique école de sagesse, cultivant l’intelligence du cœur, comme l’affirmait déjà Camille Savoire en 1935 : « Que veulent constituer les artisans du réveil du Rectifié ? Un milieu éducatif de culture morale et spirituelle au sein duquel, cherchant à réaliser, par l'enseignement mutuel et l'exemple, leur perfectionnement moral et intellectuel, ils appelleront les élites de tous les milieux sociaux, si modestes soient-ils, dont les intentions seront pures. Ils exigeront que chacun, en y entrant, abandonne à la porte la revendication de ses droits pour n'y songer qu'à l'accomplissement de ses devoirs, à extirper de son être tout sentiment d'égoïsme, développer son intelligence, sa raison et surtout son cœur.» [14]
Publié dans Doctrine, Élus Coëns, Ésotérisme, Franc-maçonnerie, Histoire, Illuminisme, Jean-Baptiste Willermoz, Joseph de Maistre, Louis-Claude de Saint-Martin, Martinès de Pasqually, Martinésisme, Martinisme, Régime Écossais Rectifié, Science de l'homme, Spiritualité, Tradition | Lien permanent | Tags : louis-claude de saint-martin, jean-marc vivenza, franc-maçonnerie, initiation, ésotérisme, martinisme, martinès de pasqually, illuminisme, pasqually, théosophie, tradition, vivenza, histoire, spiritualité, jacob boehme, origène, fénelon, christianisme transcendant, christianisme, doctrine de la réintégration, réintégration, religion, mystique, origénisme, émanation, philosophie, joseph de maistre, saint augustin, rené guénon, jean-baptiste willermoz, régime écossais rectifié, convent des gaules, convent de wilhelmsbad, grande profession, rite écossais rectifié, grand directoire des gaules, grand prieuré des gaules, camille savoire, johann august von starck, swedenborg, élus coëns, martinès de pasqually, illuminisme, martinésisme, pasqually, christianisme transcendant, christianisme transcendantal | | | Facebook | |
dimanche, 09 avril 2017
Entretiens spirituels et écrits métaphysiques
« Voie » de l’ontologie fondamentale et de l’ésotérisme mystique
Il n'y a rien à posséder ultimement du mystère existentiel,
rien à conquérir de façon positive de cette origine en devenir d’elle-même,
et il n'y a non plus rien à dépasser, car l'Être n'est jamais atteint ;
il séjourne dans son retrait, il demeure inaccessible éternellement dans son « Néant ».
«Voguez à ma suite, dans l’abîme […]
Voguez ! L’abîme libre blanc, l’infini sont devant vous. »
(Kasimir Malevitch, Le Suprématisme, 1919).
Une seule question est de nature fondamentale, celle de l’essence de « l’Être » en sa vérité principielle, ce qui relève, évidemment, de « l’ontologie » par excellence, et en ce qui concerne l’orientation spécifique de la recherche spirituelle et initiatique véritable, c’est-à-dire à la fois « non-apocryphe » et authentiquement transcendante, une ontologie qui ne peut être, en raison de la situation des conditions de la présence de l’être au monde, et sa nature foncièrement dialectique, qu’une « ontologie négative ».
I. Les deux « voies » ontologiques fondatrices
Un point, portant principalement sur le sujet de « l’Infini », montre cependant qu’il y a deux « voies », deux orientations dont la différence n’est pas anodine du point de vue métaphysique et théosophique, car si Joseph de Maistre (1753-1821), fidèle à l’enseignement de saint Augustin (354-430), ou de Martinès de Pasqually (+1774) et de l’Illuminisme en général, imputait aux esprits rebelles, puis à l’homme, suite à la double prévarication qui est survenue au sein de l’immensité divine, la raison de la situation de dégradation que connaît l’Univers avec la présence constante du « négatif » agissant en toutes les réalités vivantes, comme irréductible tendance à la décomposition et à la mort, en revanche Jacob Boehme (1575-1624) - rejoint par René Guénon (1886-1951) à cet égard dans l’exposé de sa métaphysique qu’il désigna d’ailleurs, pour cette raison, comme étant « intégrale » -, considère que l’origine de l’ombre se trouve au sein même de la Divinité en laquelle existe une part « ténébreuse » qui est une composante intrinsèque de sa nature. En ce sens, le « Principe » est constitué de « l’Être » et du « Non-Être », il est travaillé par une dialectique interne représentant le fond obscur du divin, et il s’agit bien, en cette vérité, du trésor doctrinal, du « mystère » par excellence, le plus sublime puisque portant sur la nature essentielle du mystère qui est celui dévoilant ce qu’est en sa vérité l’Absolu.
Conséquemment, et à ce titre Martin Heidegger (1889-1976), et Joseph de Maistre sont en parfait accord dans le constat qu’il n’y a pas d’extériorité par rapport au « nihilisme », c’est-à-dire qu’il n’existe pas d’alternative, de nostalgie d’un avant ou d’un après, c’est l’existence elle-même, par delà les époques, qui est plongée dans l’abîme du nihil (rien), qui est confrontée, depuis la rupture originelle, de par son « déchirement » [1], à la nécessité d’affronter la question de l’absence, du délaissement, de l’angoisse et de la perte, du tragique de l’échec et de la mort, pour le dire en un mot du « mal », car l’expérience du monde que nous éprouvons participe d’une détermination à l’antagonisme de deux forces contraires qui sont présentes partout dont l’homme n’a pas le pouvoir de se libérer, puisque c’est une détermination structurelle ontologique : « L'être-dans-le-monde est un existential, c'est-à-dire une détermination constitutive de l'exister humain, un mode d'être propre à l'être-là. [...] L'être-dans-le-monde, en tant qu'existential, est une relation originaire.» [2]
II. La détermination au négatif est inscrite dans l’Être
Exister, être, c'est donc être jeté de « l’Unité » vers la division, projeté « du haut vers le bas » disait Origène (+ 252) [3], abandonné dans le relatif, le contingent, c'est être dépendant totalement de faits et de causes qui déterminent la non-possibilité de l’harmonie et de la durée, et rendent totalement vaines et vouées à l’inutilité les infructueuses tentatives humaines - notamment politiques, mais pas seulement, car on peut y adjoindre, l’art, la philosophie, la science, etc. -, qui tendent à modifier les conditions de l’être au monde.
Il s’agit donc, ce qui en quelque sorte caractérise le chemin initiatique, d’une entreprise de dévoilement des forces secrètes et invisibles qui animent et dirigent l’ordre des choses visibles, puisque le vrai est le négatif des apparences. Ainsi donc, la confrontation au « nihil » n’est pas simplement un temps, un moment du cheminement qu’il nous incombe d’effectuer du point de vue existentiel, mais cette confrontation est une voie de « négation totale » qui – non point faite de par son exigence, il est vrai, pour tous les esprits -, par la contemplation du « néant » d'où procède et en quoi existe toute réalité, est permanente, constante, car pour passer au travers de l’obscur, il faut traverser la sombre nuée du vide originaire, et ceci depuis toujours et pour toujours, en osant de voguer sur « l’abîme de l’Infini » Cette évidence, conduit à prendre conscience qu’il ne s’agit plus désormais d’espérer en un quelconque régime ou éventuel système capable de résoudre les questions qui se posent, puisque l’origine du problème pour l’homme, mais aussi pour les civilisations et l’Univers lui-même, est un problème de « l’origine » ; la question, fondamentalement, participe d’une nature purement méta-ontologique. Voilà pourquoi, la seule attitude authentique, c’est-à-dire authentiquement en rupture, la seule position radicale capable de prendre le problème à sa source réelle, à sa « racine » effective, est donc, uniquement, d’ordre supérieur, elle relève du spirituel et du transcendant, obligeant dès lors de regarder d’où provient l’essence de la détermination existentielle, en se confrontant à la cause première de la vocation destinale de toutes choses créées au « nihil ».
« Le mal a tout souillé, et dans un sens très vrai
tout est mal puisque rien n’est à sa place [...]
Tout les êtres gémissent et tendent avec effort
vers un autre ordre des choses.»
- Joseph de Maistre -
Joseph de Maistre affirmait : « Le mal a tout souillé, et dans un sens très vrai tout est mal puisque rien n’est à sa place [...] Tout les êtres gémissent et tendent avec effort vers un autre ordre des choses.» [4] Mais après la Révolution, suite un examen approfondi de ses causes, il comprit qu’aucun temps n’était exempt de négativité, et étendit le diagnostic de façon transversale à l’Histoire elle-même, voyant d’ailleurs que la « Révolution », de par sa nature antichrétienne, son violent rejet de toutes les formes de sacralité, ayant mené un combat violent contre l’Église et son clergé qui est allé jusqu’aux crimes les plus abominables, participait non pas des idées politiques, mais de l’histoire des religions [5]
III. L’bandon de tout but positif (l’’apolitia) comme principe et ascèse spirituelle
De son côté Julius Evola (1898-1974), bien que cette analyse participait beaucoup plus d’un sentiment de révolte contre de l’état du monde de la période moderne, plutôt que d’une position ontologique portant sur la nature même de ce monde au travers de toutes les périodes, résuma ce qu’il convenait de faire, et comment dès lors agir, dans un monde en état de « dissolution générale » : « Il n’y a pas de formes positives données fournissant un sens et une légitimité vraie sur lesquelles on puisse s’appuyer aujourd’hui. Désormais, une ‘‘sacralisation’’ de la vie extérieure et active, ne peut survenir que sur la base d’une orientation intérieure, libre et authentique, vers la transcendance […] L’afele panta plotinien – c’est-à-dire ‘‘dépouille-toi de tout’’ -, tel doit être le principe de ceux qui savant regarder d’un œil clair la situation actuelle.» [6]
Ayant perçu cette origine, il convient d’abandonner tout but positif extérieur rendu irréalisable, non pas parce que cette époque serait celle de la « dissolution générale », mais parce qu’il est nécessaire de comprendre que la détermination au négatif est inscrite, depuis toujours, dans l'Être, qu’elle réside et demeure de façon intangible dans le « Tout », c’est-à-dire la totalité de « l’exister » même, et il qu’il n'y a en conséquence eu de réalité en ce monde, avant même le début des temps, de façon permanente, que déterminée et soumise, c'est-à-dire reliée à une cause qui est une déchirure, liée à une rupture fondatrice, à une scission qui se trouve dans l’essence même de l’Être ; une réalité dépendante d’un manque qui est une perte tragique survenue, au commencement, à l’intérieur de « l’Unité » première, situation absolument terrible que Maistre résume en une phrase : « Ce monde est une milice, un combat éternel. » [7] À cet égard, « l’’apolitia » s’impose donc comme règle, pouvant s’étendre pour tout esprit conscient et éveillé, non pas uniquement à notre « période de dissolution », mais en tant qu’attitude constante de présence au monde et discipline de vie, loi spirituelle, ascèse héroïque et voie ontologique qui est celle des voyageurs solitaires souhaitant accéder aux cimes des monts élevés, là où règne, dans la solitude et le silence, l’éternelle « Lumière ».
« Il n’y a pas de formes positives données
fournissant un sens et une légitimité vraie
sur lesquelles on puisse s’appuyer aujourd’hui.
Désormais, une ‘‘sacralisation’’ de la vie extérieure et active,
ne peut survenir que sur la base d’une orientation intérieure,
libre et authentique, vers la transcendance ....»
IV. La génération infinie des anéantissements et des renaissances éternels
La Manifestation est l'expression extérieure
du Mystère intérieur de l'Être infini.
Il en résulte que, malgré tous les vains efforts successifs qui seront entrepris, la fracture ne sera jamais refermée, le fossé jamais comblé, car rien en nous n'est de nous et vient de nous, mais relève d’une cause originelle, et d’une cause présentant une rupture en sa « source », un surgissement dialectique au sein de l’Unité », par lequel, selon Maistre, le « mal » s’est introduit dans l’Univers et « a tout souillé » [8], ou, plus profondément encore selon Boehme, en raison du fait que « l’éternelle origine des ténèbres» [9], engagée dans un mouvement de génération infinie passant par des anéantissements et des renaissances éternels, accomplie sa « révélation » suressentielle. Ceci explique pourquoi chaque être, chaque système philosophique, est incapable, à lui seul, d'aller au bout de l'Être. Tout est freiné, bloqué, contraint, par un manque constitutif d'être qui est inscrit à l’intérieur de toute réalité, car initialement situé au sein de l’Être, dans la substance du « Principe ». L'unique forme du possible pour chacun, le seul devoir, la règle disciplinaire, est donc d’affronter le non-sens, le sens sans nom, l'absence de nom d’un réel absent de lui-même, de se confronter, par une approche métaphysique, ou plus précisément « d’ontologie négative », au « Néant ». La Manifestation est l’expression « extérieure » du Mystère intérieur de l’Être Infini, la révélation de son « Verbe », ceci expliquant pourquoi, puisque le Principe est travaillé par un désir qui est à la fois lumière et ténèbres, la Manifestation comporte elle également, à l’identique de l’Être, un aspect mauvais et bon. Depuis le commencement, l’Être Infini est la « Totalité », composé du « monde-feu », du « monde des ténèbres », et du « monde-lumière », triple monde à l’intérieur d’une unique essence, un unique Principe, en trois distinctions illimitées, éternelles, animées d’une même aspiration, ou « faim de quelque chose », qui est une « Magia », dont l’étonnante résonnance, n’est pas sans évoquer la « Mâyâ », voile et clarté, pouvoir maternel de l’Un. Le lien intérieur à la « vraie vie » entre les ténèbres et la lumière, explique pourquoi toute existence humaine se trouve placée à la jonction du clair et de l’obscur, du bien et du mal, exigeant un abandon au « néant », faute de quoi elle sombre dans « l’angoisse » qui est un feu dévorant, alors que par son anéantissement, elle s’accomplit sans douleur dans la lumière, dans la « Magia » de Dieu en sa triade, c’est-à-dire sa triple essence.
a) La vie au « désert »
Reste donc, malgré cette situation « au milieu des ruines » obligeant en notre période de civilisation matérialiste moderne désacralisée, une traversée de la « nuit de l’esprit » - une désacralisation qui s’est imposée à la faveur des bouleversements historiques en se dotant même à notre époque d’une légitimité officielle, et s’est introduite, par l’intermédiaire des récentes réformes conciliaires, jusqu’à l’intérieur même de l’institution ecclésiale -, qui peut être un réel « apprentissage » du désert vécu en tant qu’étape importante sur le chemin conduisant à la « réalisation », nécessitant de se mettre à distance des « institutions parodiques » [10], l’obligation d’engager une démarche comparable à celle qui, toutes périodes confondues, a contraint l’être à se vider, ou désapproprier de lui-même dans un dépouillement purificateur. Et, à cet égard, la situation d’aujourd’hui n’est point différente de ce qui toujours domina comme exigence, faisant que dès l’origine, tout était déjà finalement vicié pour les âmes en quête d’Absolu, structures religieuses ou initiatiques comprises, bien qu’infiniment moins dégradées que celles de notre temps, et que l’exil intérieur se devait d’être un moment essentiel de la recherche, un passage incontournable afin de parvenir à la « metanoia », c’est-à-dire la transformation entière et radicale de l’être, ce qui définit, en propre et à toutes les époques, une démarche spirituelle effective, en Orient comme en Occident.
b) Les vrais secrets n’ont jamais été divulgués
C’est pourquoi Guénon a tant insisté sur le fait qu’il ne s’agissait pas dans cette « œuvre initiatique » s’il en est, non d’une « extase », mais d’une transformation interne de l’être, en vertu de ce principe fondamental : « toute réalisation initiatique est essentiellement et purement ‘‘intérieure’’ [11]. » Mircea Eliade (1907-1986) écrit donc, à juste titre : « On a souvent affirmé, qu’une des caractéristiques du monde moderne est la disparition de l’initiation » [12], montrant que la question de l’initiation, n’a ainsi rien à voir avec les conditions de la période à laquelle elle se pose, car en réalité « les vrais secrets n’ont jamais été divulgués » [13], puisqu’ils relèvent du « mystère » indicible et informulable, mystère qui se situe au-delà de l’Être et du Non-être, là où le langage est impuissant, domaine par définition du suressentiel. L’accès à ce mystère, qui est celui par excellence de « l’Église intérieure », selon la tradition de l’Illuminisme mystique, relève donc d’une « voie » exigeante et rigoureuse, d’une discipline de l’esprit, dont les critères et les modalités restent inchangés depuis la nuit des siècles, et que préservent, et conservent, quelques rares sociétés de nature ésotériques, observant une mise en retrait à l’égard d’un monde vis-à-vis duquel elles se tiennent volontairement à distance, unique chance de faire perdurer les éléments de la transmission authentique, et d’accomplir la traversée des temps d’obscurité.
Publié dans Doctrine, Ésotérisme, Franc-maçonnerie, Illuminisme, Jean-Baptiste Willermoz, Joseph de Maistre, Martinès de Pasqually, Métaphysique, Ontologie, Philosophie, Régime Écossais Rectifié, Religion, René Guénon, Théologie, Théosophie, Tradition | Lien permanent | Tags : louis-claude de saint-martin, cathares, catharisme, dualisme, être, non-être, néant, ontologie, ontologie négative, jean-marc vivenza, franc-maçonnerie, initiation, ésotérisme, martinisme, martinès de pasqually, illuminisme, pasqually, théosophie, tradition, vivenza, histoire, spiritualité, jacob boehme, origène, fénelon, christianisme transcendant, christianisme, doctrine de la réintégration, réintégration, religion, mystique, maître eckhart, origène, denys l’aréopagite, hegel, origénisme, émanation, deux principes, non-dualisme, plotin, mysterium magnum, philosophie, métaphysique, vacuité, infini, joseph de maistre, saint augustin, rené guénon, martin heidegger, nihilisme | | | Facebook | |