lundi, 21 mars 2016
Le mystère de l’Église intérieure ou la « naissance » de Dieu dans l’âme
Le cœur métaphysique et ontologique
de la doctrine saint-martiniste
« Le mystère de ces choses divines et spirituelles
doit pouvoir percer jusque dans notre être fondamental.»
(Louis-Claude de Saint-Martin, Le ministère de l’homme-esprit).
Si nous parlons d’un « mystère » de « l’Église intérieure », c’est que cette dernière forme l’invisible « communauté de la lumière », selon la singulière expression que Karl von Eckhartshausen (1752-1803) emploie dans La Nuée sur le Sanctuaire (1802), lorsqu’il écrit : « Cette communauté de la lumière fut appelée de tous temps l'Église invisible et intérieure, ou la communauté la plus ancienne.. » [1]
Cette communauté, ou « assemblée », est l’héritière de connaissances qui représentent un « dépôt », le « dépôt primitif de toutes les révélations », constituant une « doctrine » dont la base est en lien avec ce qui provoqua la chute des anges, puis celle de l’homme, ainsi que les conditions qui permettront que puisse s’accomplir la « réintégration universelle », mais dont les éléments ultimes, les lumières les plus élevées et sublimes, portent en réalité, sur la génération de la Divinité, ce qui, légitimement, participe bien du « Grand mystère » (Mysterium magnum) par excellence.
Ne sont que le « voile » des vérités intérieures.
Ce « Grand mystère », celui sur lequel veillent en son Sanctuaire les membres de l’Église intérieure, ne pouvant être compris de la multitude, a dû être préservé, protégé et voilé, car il concerne des vérités essentielles qu’il importe de ne point profaner et divulguer inconsidérément, d’où la nécessité d’en dissimuler les connaissances au sein de cette « petite Église », non oublieuse de la « sainte doctrine », qui a cessé de célébrer des cérémonies extérieures, laissées à l’institution visible où elles servent de « voiles » aux vérités intérieures : « L'Église intérieure naquit tout de suite après la chute de l'homme, et reçut de Dieu immédiatement la révélation des moyens par lesquels l'espèce humaine tombée sera réintégrée en sa dignité, et délivrée de sa misère. Elle reçut le dépôt primitif de toutes les révélations et mystères; elle reçut la clef de la vraie science, aussi bien divine que naturelle (…) Lorsqu'il devint nécessaire que les vérités intérieures fussent enveloppées dans des cérémonies extérieures et symboliques, à cause de la faiblesse des hommes qui n'étaient pas capables de supporter la vue de la lumière, le culte extérieur naquit; mais il était toujours le type et le symbole de l'intérieur, c'est-à-dire le symbole du vrai hommage rendu à Dieu ‘‘en esprit et en vérité’’ » [2].
I. Un « Rien » dans la plénitude abyssale de l'Absolu
L’Église intérieure, de par la bienheureuse doctrine dont elle est dépositaire depuis l’origine, sait cependant qu’il existe, par delà les « mystères » avec lesquels il nous faut composer tout au long de nos vies - l’un portant sur la formation des choses « physiques » ou naturelles de par l’ascendant de notre complexion animale sur notre esprit et l’autre, relatif à notre être fondamental et son lien avec le « Principe », mystères qui nous fondent et nous déterminent, dont la vocation est de ne pas demeurer en permanence inaccessibles et ignorés, ceci malgré les vigoureuses condamnations de l’institution visible vis-à-vis de ces lumières, ce qui faisait dire à Louis-Claude de Saint-Martin (1643-1803) : « le malheur actuel de l’homme n’est pas d’ignorer qu’il y a une vérité, mais de se méprendre sur la nature de cette vérité » [3], nous élevant jusqu’à la compréhension intime de notre être, la fameuse « science de l’homme » dont parle Joseph de Maistre (1753-1821) [4] -, un « Grand mystère » relatif à la Divinité, procédant de notre centre fondamental, qui n’est autre que le centre même de Dieu.
Le vide originaire, qu’il faut endurer,
est un « Rien »
dans la plénitude abyssale de l'Absolu,
en attente de sa génération dans l’âme.
Ce « Grand Mystère », est le « Mystère de l’Église intérieure », mystère dont on sait qu’il représente le point central, l’idée fondatrice de la pensée de Louis-Claude de Saint-Martin qui, en fidèle disciple de Martinès de Pasqually (+ 1774), ne cessa d’approfondir les multiples aspects de l’enseignement de son premier maître, qu’il compléta avec ensuite, par la souveraine science rencontrée chez Jacob Boehme (1575-1624).
Ce dernier lui fit voir que l'abîme du monde est un vide de carence ontologique, c'est-à-dire un pur néant, tandis que le vide originaire, qu’il faut traverser et endurer, est un « Rien » dans la plénitude abyssale de l'Absolu, en attente de sa génération intérieure dans l’âme, ce en quoi consiste d’ailleurs la réalisation du « Grand mystère ».
Car ce monde, qui est le « Rien », est aussi, en mode négatif, le « Tout », le lieu de l’avènement de la transcendance. Le « Néant », n’est donc pas la négation radicale de la totalité de l'existant, il est la radicale négation de l’existence finie et déterminée au sein de laquelle la transcendance fait sa brèche, réalise sa percée ; mais il n'est pas un néant pur et simple, un néant absolu, il est le néant de tout ce qui n’est pas, la négation de ce qui voile, masque, réduit et limite, il est le néant pensé à partir de l’existant en attente de sa délivrance pour accéder à l’au-delà de l’Être, il est le monde et tout ce qui existe, la négation en acte, l’acceptation et le rejet effectif des existants, le dégagement et le retrait du monde des choses créées. Le « Néant » n'est donc ni un existant ni un objet, il en est même l’exacte négation, mais il est aussi, de façon secrète, au cœur de cet existant qu'est l’homme.
II. Le « Grand Mystère » (Mysterium magnum)
Ce « Grand Mystère » ouvre donc sur une dimension proprement « ontologique », car en fait l’ordre au sein duquel se situent les questions relatives au sacerdoce « en esprit », participe d’une région où « l’Être » et le « Non-être » entretiennent, depuis toujours, un rapport étroit, ce qui a pour conséquence de placer l’âme au cœur d’un enjeu considérable qu’il n’est pas évident de déceler derrière le rideau opaque des apparences de la réalité matérielle.
«Pour Dieu rien n'est près et rien n'est loin,
un monde est dans l'autre et tous ne sont pourtant qu'un monde unique ;
mais l'un est spirituel, l'autre corporel,
de même que le corps et l'âme sont l'un dans l'autre,
de même que le temps et l'éternité ne sont qu'une seule chose...(...)
le Verbe éternellement parlant règne partout... »
(Jacob Boehme, Mysterium magnum, II, 10).
Car, si depuis l’aube des temps, l'homme cherche l'Être là où il n'est pas, c'est qu'en l'Être lui-même réside une déchirure, une absence, un vide, une carence originelle, dans la mesure où il n’est rien de ce qui est, tout en ne pouvant demeurer qu’un « rien », un « pur Néant », sans que ce qui est sur le plan ontique, ne l’engendre. Comme l’exprime magistralement Boehme : «Pour Dieu rien n'est près et rien n'est loin, un monde est dans l'autre et tous ne sont pourtant qu'un monde unique ; mais l'un est spirituel, l'autre corporel, de même que le corps et l'âme sont l'un dans l'autre, de même que le temps et l'éternité ne sont qu'une seule chose...(...) le Verbe éternellement parlant règne partout... » (Mysterium magnum, II, 10) [5].
Dieu reste inconnaissable,
il est impossible de le connaître,
de le penser, de le saisir par des concepts,
on peut seulement le « faire naître »…
Dieu reste inconnu aux yeux du monde, car il ne participe pas de la réalité objective, ce n’est pas un « objet », une chose, une existence individuelle, une entité « personnelle » indépendante de nous, selon ce que l’imaginaire pieux, à tendance anthropomorphique, le donne à croire [6] ; pour savoir ce qui se cache derrière ce que l’on désigne comme étant « Dieu », il est nécessaire de modifier entièrement notre vision des choses, de s’ouvrir, par un changement de « conversion », par une authentique « métanoïa » - mετάνοια, c’est-à-dire ce qui va au-delà, « au-dessus » (mετά), du « regard » (νοέω), ou de la « vue », voire de la pensée -, en s’orientant, en se « retournant » vers ce qui est caché en nous, à l’intérieur, au plus profond de l’être, car Dieu reste inconnaissable, puisqu’il est radicalement impossible de le connaître, de le penser, de le saisir par des concepts, on peut seulement le « faire naître » en nous par un acte qui renverse les idées reçues et la « foi commune », mais si cette naissance n’advient pas, une naissance par laquelle Dieu et l’âme deviennent une seule et même substance en mode suressentiel, alors nous restons étrangers à la Divinité, en demeurant prisonniers et enfermés dans nos visions préfabriquées inexactes.
III. Le divin engendrement de Dieu dans l’âme
Selon la doctrine de la réintégration commune à tous les disciples de Martinès de Pasqually, l’Esprit s’est aliéné dans la matière en raison de la prévarication d’Adam, fasciné par la puissance de création dont il avait été doté. Mais, dans le cadre d’une mise en œuvre de la naissance du « nouvel homme », cette connaissance n’est d’aucune utilité pour modifier l’actuel état dans lequel se trouve la créature assimilée à un « néant » de par son entière soumission au Mal qui est un pur « non-être », selon la déclaration d’Origène (v.185-254) : « Pour ce qui est de la signification du rien et du non-être, ils paraîtront synonymes, le non-être étant appelé ‘‘rien’’ et le rien ‘‘non-être’’ (…) celui qui est bon est identique à celui qui est. Le Mal ou le vice est opposé au Bien, le non-être opposé à l’Être. D’où il résulte que le Mal et le vice sont non-être. » [7]
Il faut donc entrer, pour parvenir à surmonter le « non-être », dans la compréhension de la correspondance existant entre l’élection et à la grâce, et engager l’accomplissement de l’anéantissement volontaire afin que la créature puisse se déprendre des vestiges de la réalité apparente, pour enfin, ultimement, participer et collaborer à la génération, en nous, au centre de notre âme, de la Divinité.
« Dieu opère dans l’âme sans aucun intermédiaire
- image ou ressemblance – mais bien dans le fond,
là où jamais ne pénétra aucune image
que Lui-même, en son Être propre. »
(Maître Eckhart, Sur la naissance de Dieu dans l’âme).
En effet, l’âme, ou plus exactement le « très-fond » de l’âme (abditus mentis), est le saint Tabernacle où, dans une « opération » qui est le mystère secret du silence intérieur par lequel, dans une « union » invisible, Dieu procède à la naissance de son Fils premier né, ainsi que Maître Eckhart (1260-1328) l’exprime : « Dieu opère dans l’âme sans aucun intermédiaire – image ou ressemblance – mais bien dans le fond, là où jamais ne pénétra aucune image que Lui-même, en son Être propre. Cela, aucune créature ne peut le faire. ‘‘Comment Dieu engendre-t-il son Fils dans le fond de l’âme ? est-ce de la même façon que font les créatures, en image et ressemblance ?’’ Croyez bien que non ! Tout au contraire : Il l’engendre exactement de la même manière qu’Il l’engendre dans l’éternité, ni plus ni moins. (….) C’est ainsi que Dieu le Père engendre son Fils : dans l’unité véritable de la nature divine.» [8]
Maître Eckhart fit intervenir une idée vraiment novatrice, à partir de ce qu’il nommera « les deux néants », à savoir celui de Dieu, en tant que néant originel et fondateur qui n’est rien de ce qui est, et le « non-être », celui dont est tiré l’homme, un second « néant » en tant que possibilité infinie à l’intérieur de laquelle le Créateur décide de faire surgir les êtres créés à partir de rien : ex nihilo. Et c’est précisément à partir de l’attention à l’égard de ces deux néants qui embrassent la totalité des essences visibles et invisibles, qu’Eckhart mit en lumière le rôle fondamental de l’âme de l’homme qui, par sa capacité à prendre conscience de l’être en tant qu’être - c’est-à-dire par son pouvoir unique d’appréhender et percevoir l’existence et ses multiples modalités, mais aussi de penser l’Être premier et infini - relie et unit le néant divin et le néant humain.
« Vous connaîtrez la Vérité,
et la Vérité vous rendra libres. »
(Jean VIII, 32).
Publié dans Doctrine, Église intérieure, Ésotérisme, Franc-maçonnerie, Illuminisme, Jacob Boehme, Joseph de Maistre, Liturgie, Louis-Claude de Saint-Martin, Martinès de Pasqually, Martinisme, Métaphysique, Mystique, Philosophie, Religion, Saint-martinisme, Science de l'homme, Spiritualité, Théologie, Théosophie, Tradition | Lien permanent | Tags : doctrine de la réintégration, réintégration, hegel, émanation, louis-claude de saint-martin, cathares, catharisme, dualisme, être, non-être, néant, ontologie, ontologie négative, jean-marc vivenza, franc-maçonnerie, initiation, ésotérisme, martinisme, martinès de pasqually, illuminisme, pasqually, théosophie, tradition, vivenza, histoire, spiritualité, jacob boehme, karl von eckartshausen, eckartshausen, origène, fénelon, christianisme transcendant, christianisme transcendantal, religion, mystique, maître eckhart, philosophe inconnu, union avec dieu, kirchberger, martin de barcos, angelus silesius, denys l’aréopagite, origénisme, deux principes, non-dualisme, plotin, pèlerin chérubinique, mysterium magnum, rené nelli | | | Facebook | |
dimanche, 04 octobre 2015
Comment être membre de l'Église intérieure ?
Livret-DVD
ENTRETIEN :
« JEAN-MARC VIVENZA et JEAN SOLIS »
Enregistrement réalisé par Baglis TV
vendredi 18 avril 2014 (Vendredi-Saint)
Au cours de l’entretien qui se déroula le vendredi 18 avril 2014, jour du Vendredi Saint [1], de nombreuses questions essentielles ont été abordées afin d’éclairer des points qui, bien qu’évidemment traités et exposés dans « L’Église et le sacerdoce selon Louis-Claude de Saint-Martin », pouvaient rester encore obscurs, voire difficilement compréhensibles, tant le sujet du livre relève d’un domaine assez rarement soulevé, pour ne pas dire quasi jamais abordé dans le cadre des réflexions, légitimes et nécessaires, touchant à la voie initiatique, notamment le Martiniste que l’on devrait bien plutôt, de par la large acception polysémique de ce terme depuis la fondation en 1891 d’un « Ordre » du même nom par Gérard Anaclet Vincent Encausse (1865-1916), plus connu sous le nom de « Papus » [2] dénommer « saint-martinisme », ceci afin de signifier un réel lien de fidélité et d’adhésion vis-à-vis de la pensée de Louis-Claude de Saint-Martin (1753-1803).
Ainsi, tour à tour, dans l’exercice des questions et réponses permettant une approche directe des sujets, les éléments les plus profonds du « mystère de L’Église intérieure » ont été l’objet d’un éclairage précis, circonstancié et développé, qui offrira à chacun de pouvoir bénéficier de précieuses lumières complémentaires qui seront, sans doute, fort utiles lors du cheminement spirituel.
Ces points pourraient se résumer à un seul : la nature de l’Église intérieure et du sacerdoce céleste selon Saint-Martin. Mais une foule d’autres interrogations ne manquent pas de surgir, dès que l’on touche à ces éléments, sachant que l’Église et le sacerdoce, pour le Philosophe Inconnu, relèvent d’une essence et d’une dimension bien différentes de ce que nous croyons connaître habituellement, participant ainsi d’une réalité - et pour tout dire d’un authentique « mystère » -, qui n’a son séjour et sa source uniquement dans l’Invisible.
A présent il s’agit de se préparer
à la réception d’une « grâce d’élection »
capable d’édifier en chacun d’entre nous
les fondements de la véritable Église
C’est pourquoi, un texte complémentaire en forme de développement thématique à « L’Église et le sacerdoce selon Louis-Claude de Saint-Martin » [3], accompagné d’un ouvrage indépendant et d’un entretien portant sur les points principaux de ce livre, s’imposait pour plusieurs raisons.
Premièrement parce que les questions soulevées par le sujet de « l’Église intérieure » se sont révélées d’une telle importance spirituelle et initiatique, pour la majorité des lecteurs, qu’il était devenu nécessaire d’aborder ces sujets de façon directe, de sorte de leur conférer un éclairage plus immédiat ou « concret ».
Ensuite, s’est imposée l’idée qu’une éclairage explicatif - par delà l’aspect plus directement « liturgique », quoique immatériel et non-ostensible, du culte en « esprit et en vérité » qui a été longuement développé dans un précédent ouvrage [4] -, vienne, non pas s’ajouter au livre touchant à la question du sacerdoce, mais lui conférer quelques lumières complémentaires et notamment doctrinales puisque Saint-Martin en fidèle disciple de Martinès de Pasqually (+ 1774) ne cesse d’approfondir les multiples aspects de l’enseignement de son premier maître qu’il compléta ensuite par les enseignements rencontrés chez Jacob Boehme (1575-1624), pouvant s’avérer très utiles pour tous ceux qui souhaitaient entrer, plus avant, dans le « mystère de l’Église intérieure », mystère dont on sait qu’il représente le point central, l’idée fondatrice de la perspective théosophique et mystique de la pensée de Louis-Claude de Saint-Martin.
Ainsi donc, par les éléments développés, chacun pourra bénéficier de certaines « lumières » particulières et secrètes, qui lui permettront d’accéder, plus encore, à la plénitude des connaissances qui entourent le « l’Église intérieure », selon ce que soutenait Saint-Martin – à savoir qu’à présent il s’agit, dans ce qui est en jeu pour chaque âme de désir, de se préparer à la réception d’une « grâce d’élection » capable d’édifier en chacun d’entre nous les fondements de la véritable Église - désignée à bon droit comme étant « l’Église intérieure » -, afin qu’elle devienne le Temple et le Sanctuaire de la Divinité, et que dans ce devenir, l’âme donne naissance en elle, du plus profond de son néant, de l’abime dans lequel elle est plongée au sein de sa nuit ontologique, du cœur de son non-être entourée du voile opaque des apparences de la matérialité illusoire, à l’Être infini qui ne subsiste que dans son absence, ne vit et ne perdure, éternellement, que dans son retrait, et n’existe que dans sa non-existence suressentielle.
« Quand l'homme prie avec constance, avec foi,
et qu'il cherche à se purifier dans la soif active de la pénitence,
il peut lui arriver de s’entendre dire intérieurement
ce que le réparateur dit à Céphas :
‘‘tu es Pierre, et sur cette pierre, je bâtirai mon église,
et les portes de l'enfer ne prévaudront jamais contre elle.’’ »
(Saint-Martin, Le Nouvel homme, § 8).
THÈMES DE L’ENTRETIEN :
« JEAN-MARC VIVENZA et JEAN SOLIS »
Enregistrement réalisé par Baglis TV
vendredi 18 avril 2014 (Vendredi-Saint)
DVD – 1 heure
I. Situation du sacerdoce chrétien
II. La prière intérieure et la liturgie de l’Église céleste
III. L’occultation de l’enseignement secret du christianisme
IV. La gnose des premiers siècles
V. L’Église céleste et les confessions chrétiennes
VI. La pratique du sacerdoce intérieur
VII. La « Société des Intimes » et l’Ordre Martiniste
VIII. L’Église intérieure et les sacrements
IX. La Sainte Cène mystique
X. Saint-Martin et la « révélation » de l’Église divine
XI. La doctrine de la réintégration
XII. La descente de l’Esprit-Saint et le don de la Pentecôte
XIII. La grâce du « Vendredi –Saint »
XIV. « Réconciliation » et « Réintégration »
XV. L’apocatastase est l’anéantissement du créé
en tant que « bénédiction »
XVI. La création du monde matériel a été imposée à l’Éternel
XVII. Le monde fut créé par des esprits intermédiaires
XVIII. Émanation et Création
XIX. L’homme et sa relation aux anges
XX. Saint-Martin et la théurgie
XXI. Le projet divin
XXII. Le Divin Réparateur est l’unique Grand Sacrificateur
XXIII. La voie selon l’interne
XXIV. Saint-Martin
et l’enseignement du Régime écossais rectifié
XXV.L’initiation véritable
XXVI. Le « cœur » est le lieu essentiel où advient le « mystère »
L’Entretien est suivi de deux textes
inclus dans le livret accompagnant le DVD :
Comment être membre de l'Église intérieure ?
Et la
« Règle de vie abrégée de l’âme intérieure »
Pour commander le
DVD Entretien / Livret :
L’Église et le sacerdoce selon Louis-Claude de Saint-Martin
Notes.
1. Enregistrement du 18 avril 2014 à Paris, filmé par les caméras de Baglis TV, d’un échange approfondi entre Jean Solis et Jean-Marc Vivenza, que l’on trouve à l’intérieur du présent DVD.
2. Papus est le hiéronyme, ou « nomen ésotérique », qu’Encausee emprunta au Nuctéméron d'Apollonius de Tyane, traduit par Eliphas Lévi (1810-1875) en 1861.
3. L’Église et le sacerdoce selon Louis-Claude de Saint-Martin, La Pierre Philosophale, 2013.
4. Le culte en « esprit » de l’Église intérieure, La Pierre Philosophale, 2014.
Publié dans Culte primitif, Franc-maçonnerie, Histoire, Illuminisme, Jacob Boehme, Jean-Baptiste Willermoz, Liturgie, Livres, Louis-Claude de Saint-Martin, Martinès de Pasqually, Martinésisme, Martinisme, Mystique, Oraison, Prière, Religion, Sacerdoce, Saint-martinisme, Spiritualité, Théologie, Théosophie, Théurgie | Lien permanent | Tags : louis-claude de saint-martin, jean-marc vivenza, franc-maçonnerie, initiation, ésotérisme, martinisme, élus coëns, martinès de pasqually, illuminisme, martinésisme, pasqually, théosophie, tradition, vivenza, histoire, spiritualité, jacob boehme, karl von eckartshausen, eckartshausen, origène, fénelon, madame guyon, dutoit-membrini, christianisme transcendant, christianisme transcendantal, doctrine de la réintégration, réintégration, religion, prière, quiétisme, jansénisme, mystique, oraison du cœur, oraison de quiétude, oraison de silence, contemplation, jean de la croix, thérèse d’avila, miguel molinos, maître eckhart, antoine esmonin de dampierre, don divin, sainte oraison, philosophe inconnu, prière intérieure, union avec dieu, kirchberger, chevalier de ramsay | | | Facebook | |
dimanche, 07 juin 2015
Joseph de Maistre : Prophète du «christianisme transcendant»
L’ésotérisme mystique et la doctrine des illuminés
Jean-Marc Vivenza
« Quelquefois, je voudrais m’élancer
hors des limites étroites de ce monde ;
je voudrais anticiper sur le jour des révélations
et me plonger dans l’infini ».
(Joseph de Maistre, Soirées de Saint-Pétersbourg,
Xe entretien, Œuvres Complètes, t. V, Vitte, 1884, p. 172.)
La pensée de Joseph de Maistre (1753-1821) est, à sa base initiale, de manière indissociable, liée aux doctrines qui se rencontraient dans ce courant dit de « l’illuminisme mystique », certes composite, mais singulièrement riche d’une longue tradition, représenté au XVIIIe siècle par des personnalités comme Martinès de Pasqually (+ 1774), Karl von Eckartshausen (1752-1803), Jean-Baptiste Willermoz (1730-1824), ou encore Louis-Claude de Saint-Martin (1743-1803). C’est pourquoi, on ne peut pas faire l’économie d’un examen attentif des théories qui apparurent au sein de ce mouvement initiatique et spirituel, sous peine ne pas percevoir ce qui unit, étroitement et intimement, la pensée de Maistre à sa source première, source qui est, également et incontestablement, une authentique origine.
Ceci nous est d’ailleurs parfaitement confirmé par une note de Maistre datée de 1816, soit, chez lui, à une période où la réflexion avait largement eu le temps de faire son œuvre, dans laquelle il déclarait qu’après avoir jadis consacré « beaucoup de temps à connaître ses messieurs » (sous-entendu les « illuminés » ou les « initiés »), fréquentant leurs assemblées, allant à Lyon pour les voir de plus près, entretenant une correspondance avec les principaux d’entre eux, il n’en était pas moins « demeuré attaché à l’Eglise catholique, apostolique et romaine ; affirmant sans détour : non cependant sans avoir acquis une foule d’idées dont j’ai fait mon profit. » [1]
Quelle est donc cette foule d’idées, dont Maistre nous assure avec certitude, qu’il a « fait son profit » ?
I. Les sources de la pensée de Joseph de Maistre
Il n’est besoin pour y répondre qu’à se pencher sur la pensée maistrienne telle qu’exprimée dans les principaux textes du comte savoisien, et d’opérer une correspondance thématique avec les bases doctrinales de l’illuminisme, et surtout les thèses spécifiques de Martinès de Pasqually exposées dans son célèbre « Traité sur la Réintégration des êtres », ainsi que celles de Jean-Baptiste Willermoz et Saint-Martin, pour constater leur extrême identité de nature.
La perspective eschatologique présentée par Martinès de Pasqually, commune à Saint-Martin et Willermoz, reprise par Joseph de Maistre, s’inscrit à l’évidence dans cette compréhension globale de l’histoire de la « Chute », sachant que le premier homme, Adam, ne s’en tint pas à sa faute initiale mais la renouvela par sa faiblesse envers les choses de la matière, sa volonté dévoyée et son appétit charnel duquel naquit Caïn.
Toutes les conceptions de Joseph Maistre,
ont leurs sources dans les thèses de l’illuminisme.
Toutes les conceptions de Joseph Maistre portant sur les desseins de la divine Providence au cœur de l’Histoire, la condition de l’homme, sa chute et sa possible « réconciliation » avec Dieu, sa vigilante attention appliquée aux lois de l’analogie mettant en lumière la correspondance entre ce qui est en haut et ce qui est en bas, le monde regardé comme l’expression, selon la phrase de saint Paul, rappelée par Maistre dans le « Xe Entretien » des Soirées de Saint-Pétersbourg, d’un « ensemble de choses invisibles manifestées visiblement », ont leurs sources, leur racines dans les thèses de l’illuminisme. Rajoutons, une « interprétation allégorique des Ecritures, si négligée en son temps par l’Eglise ; son intérêt pour la métaphysique des nombres par lesquels l’intelligence suprême se prouve à la nôtre ; son apologie de l’intuition divinatrice, participation immédiate à la pensée de Dieu en qui repose la vérité ; son exaltation de la prophétie toujours présente parmi les hommes et qui lui laisse pressentir un prochain et splendide épanouissement du christianisme... » [2]
L'ensemble de l’œuvre de Joseph de Maistre, s'éclaire donc d'un jour nouveau lorsque l'on effectue ce rapprochement avec la doctrine de l’illuminisme, et l'on est très souvent frappé par l'étroite intimité des points de vue, des analyses et des certitudes, au point que Maistre peut apparaître à bon droit, comme un authentique « Prophète » de ce christianisme original qu’il désigna lui-même comme un « christianisme transcendant » [3].
Sous cette appellation, c'est toute la perspective métaphysique de l’illuminisme mystique, état de rupture de l'homme déchu en quête de l'Unité perdue, qui se trouve traduite et développée, avec un rare talent, il est vrai, et un style magnifique, sous la plume de Maistre au fil de ses écrits.
II. Joseph de Maistre et Louis-Claude de Saint-Martin
En 1787, Louis Claude de Saint-Martin passe par Chambéry pour se rendre en Italie, il est accueilli par Joseph de Maistre qui était depuis plusieurs années un vif admirateur de sa pensée dont il disait qu’il s’engageait à soutenir à son égard sur tous les points la parfaite orthodoxie [4].
Maistre sans connaître encore Saint-Martin, avait copié de sa main, trois discours aux initiés lyonnais, au titre suivants : « Les voies de la Sagesse », « Les lois temporelles de la justice divine », le « Traité des bénédictions » ; Maistre nous dit, dans son « Journal inédit » en date du 4 décembre 1797, « j’ai consacré trente huit heures et treize minutes à cette transcription. » [5] Les deux hommes, comme on peut l’imaginer, échangent longuement sur de nombreux sujets. En 1793, Maistre dira d’ailleurs, dans son « Mémoire » à Vignet des Etoles, : « M. de Saint-Martin est un gentilhomme français de 35 à 40 ans, de mœurs fort douces et infiniment aimable. Je le connais. On n’aperçoit rien d’extraordinaire dans ses manières ni dans sa conversation ».[6]
Maistre ne manquait pas une occasion
de défendre Saint-Martin contre toutes les critiques.
Il s’enthousiasma en 1790 pour « l’Homme de désir »,
qui soutenait que le désir de Dieu et celui de l’homme
doivent faire tomber tous les obstacles entre les deux plans
et préparer les voies à « l’Unité suprême ».
Maistre poursuit ses lectures et se plonge dans les écrits Jacob Boehme (1575-1624) que lui fait découvrir Saint-Martin, il s’ouvre également avec enthousiasme à Emmanuel Swedenborg (1688-1772), l’auteur de la « Nouvelle Jérusalem », et étudie avec attention Karl von Eckartshausen, recopiant directement en allemand des passages entiers de « La Nuée sur le Sanctuaire ».
III. Des liens étroits avec l’illuminisme mystique
a) Un franc-maçon du Régime écossais rectifié en exil
En 1792, de par l’effet des troubles révolutionnaires, Maistre, fidèle à son Roi, prend le chemin de l’exil.
Souffrant en son encontre d’une certaine suspicion, de par ses nombreuses et « quasi » publiques attaches maçonniques, Maistre s’en ouvre à un ami, Vignet des Etoles, de manière à être blanchi des reproches dont on l’accuse à tort. Il lui fait donc parvenir un « Mémoire » retraçant l’ensemble de son parcours initiatique, texte qui nous est précieux rétrospectivement pour la connaissance qu’il nous donne des profonds rapports établis par Maistre avec le monde des loges de 1774 à 1792.
Il serait toutefois illusoire d’imaginer, comme de pieux auteurs le soutiennent un peu rapidement, que les relations maçonniques de Joseph de Maistre cessèrent par injonction de sa Majesté Victor-Amédée III.
S’il n’est pas aisé de situer la nature de ses relations « fraternelles », notamment lors de son séjour en Suisse à Lausanne puis en Sardaigne, bien que de nombreux frères aient pris avec lui le chemin de l'exil, dont le comte Salteur, le sénateur Deville, le comte d'Ezery et le chanoine Bazin du Chanez, et se retrouvent, comme il est aisé de le penser, pour poursuivre leurs travaux.
Il est avéré par exemple que Maistre est en rapport de 1794 à 1795 avec Henri de Cordon, chanoine de Saint-Jean, comte de Lyon, ecclésiastique Grand Profès du Régime écossais rectifié, qui fut délégué de la province de Bourgogne au Convent des Gaules en 1778. Il est lié également, dès son arrivée en avril 1793, à la loge de Lausanne.
b) Un initié au sein de l'illuminisme mystique
Il ne faut pas, par ailleurs oublier, que la Suisse était à cette époque un foyer très accueillant pour le monde de l'ésotérisme, les livres de Fénelon (1651-1715) et de Madame Guyon (1648-1717) y étaient lus avec intérêt, différents cercles - comme celui des « âmes intérieures » de Jean-Philippe Dutoit-Membrini (1721-1792), dont Maistre lisait le livre « De l'origine des abus, de l'usage, des quantités et de la foi... » -, rayonnaient et réunissaient de nombreuses personnalités autour d’eux, diffusant un discours sur l'approche directe de Dieu au sein de « l'oraison passive » et de « l'adoration pure de foi ».
D'autre part on sait de manière certaine aujourd'hui que Maistre magnétisait, et s'exerçait sérieusement à développer ses « dons » fluidiques auprès de ses amis émigrés royalistes.
Joseph de Maistre baigne donc, et peut-être plus encore qu'à Chambéry, dans un environnement initiatique mystique et ésotérique, mettant à profit le temps libre qui lui est donné pour se plonger dans ses chères études théosophiques.
Il dévore « Le Nouvel Homme » de Saint-Martin, se plonge dans les traductions de Jacob Boehme, de Swedenborg ; ses « Carnets » témoignent d’études touchant à la Kabbale, il cite les spéculations du Rabi Haccadosch sur les noms divins (Mélanges B), de Pierre-Daniel Huet (1630-1721) sur le Messie et le Tétragrammaton, (Mélanges A, 2 mai 1799), il approfondit les correspondances entre l’alchimie et l’astrologie, ce qui lui servira à rédiger la note 6 du XIe Entretien des Soirées de Saint-Pétersbourg .
Joseph de Maistre lit de Pierre-Daniel Huet (1630-1721),
et se passionne pour ses études sur le Messie
et le Tétragrammaton, (Mélanges A, 2 mai 1799).
IV. Influence de la pensée d’Origène chez Joseph de Maistre
Joseph de Maistre déclarait dans son Mémoire au duc de Brunswick (1781), qu’il espérait « ajouter au Credo quelques richesses », et il ne fait aucun doute, comme on le constate, que ces richesses provenaient des différentes « lumières » reçues au sein du monde de l’illuminisme mystique.
En effet, celui qui allait devenir le lecteur assidu de Clément d’Alexandrie (v.150-v.215) et d’Origène (v.185-v.252), trouva en effet dans le Régime écossais rectifié dont il fut membre en à Chambéry en Savoie jusqu’en 1792, une doctrine qui allait s’accorder à merveille avec les propres convictions qu’il arrêtera par la suite à la lecture de certains auteurs des premiers siècles du christianisme, et qui lui donna accès à des connaissances surprenantes au sujet de la création du monde, le sens spirituel des Écritures, de l’ordre naturel et surnaturel, et sur bien d’autres points encore.
Origène fournit à Joseph de Maistre,
la justification des principaux articles de son "Credo".
De nombreux auteurs firent remarquer, à juste titre, l’influence d’Origène [7] sur la pensée de Maistre : « L’influence d’Origène est patente dans l’œuvre de Joseph de Maistre, elle se fait sentir tant dans le cadre général de sa pensée que dans la manière d’aborder certaines difficultés. Origène considère le monde terrestre comme un lieu de résipiscence. Les hommes doivent revenir vers Dieu, cet effort vers la vertu, vers l’acceptation de l’attrait divin, est précisément ce qui fait leur mérite et leur salut. L’histoire entière de l’humanité est un retour vers Dieu » [8] ; « Le nom d’Origène résume à lui tout seul l’influence profonde du christianisme hellénique sur Joseph de Maistre : c’est le seul que l’œuvre maistrienne appelle régulièrement à son secours (…) Origène fournit à Maistre la justification des principaux articles de son Credo » [9], ce constat n’est point faux bien évidemment, mais il ne faut pas oublier que les grand thèmes origéniens (état pré-angélique d’Adam, enfermement des âmes dans un corps de matière en conséquence de la prévarication du premier homme, apocatastase pensée comme un anéantissement du monde sensible et de toutes les formes matérielles, vie céleste post-mortem incorporelle, etc.), Maistre les a d’abord rencontrés dans sa carrière de jeune initié, de 1776 à 1792, au sein du Régime écossais rectifié, système initiatique qui avait introduit officiellement à l’initiative de Jean-Baptiste Willermoz lors de son premier Convent constitutif à Lyon en 1778 - connu sous le nom de Convent des Gaules -, comme enseignement fondateur de l’Ordre, la « doctrine de la réintégration » qui n’est en réalité, à l’examen et selon le jugement même de Maistre, qu’une reformulation, certes en mode ésotérique, des principaux concepts exposés en son temps par Origène. [10]
V. La doctrine de la réintégration des êtres
C’est ce que soutient Maistre lorsqu’il évoque les thèses professées par les initiés qu’il a connus à Lyon, c'est-à-dire et en particulier ceux dont il fut intime, à savoir Jean-Baptiste Willermoz et Louis-Claude de Saint-Martin : « Leur doctrine est un mélange de platonisme, d’origénianisme et de philosophie hermétique sur une base chrétienne.» (Soirées, XIe Entretien).
Ceci l’amenant d’ailleurs à affirmer : « Le christianisme dans les premiers temps, était une vraie initiation, où l’on dévoilait une véritable magie divine. » (Mélanges B). Il en conclut donc dans ses registres, ce qui apparaît à l’évidence lorsqu’on examine sérieusement le sujet, que la doctrine d’Origène relativement à la chute d’Adam et l’origine du monde matériel, « est encore aujourd’hui la base de toutes les initiations modernes. » (Ibid.).
La doctrine d’Origène relativement à la chute d’Adam
et l’origine du monde matériel,
« est encore aujourd’hui la base de toutes les initiations modernes. »
Ainsi, l’examen des registres inédits de Maistre, nous montre que la découverte d’Origène date de 1797, année où il copia et annota de nombreuses pages du Père alexandrin (Mélanges B, pp. 51 ss.). Maistre le désigna alors comme « l’un des plus sublimes théologiens qui aient jamais illustré l’Église », mais cette date de 1797, prouve éloquemment, que la rencontre avec Origène s’est produite bien après la période initiatique au sein du système willermozien, où le comte chambérien accéda aux Instructions secrètes, réservées aux Profès et Grands Profès, qui exposent une doctrine en tous points identique aux thèses du Traité des Principes.
« Tout est mystère dans les deux Testaments,
et les élus de l'une et l'autre loi n'étaient que de vrais initiés… »
Joseph de Maistre, Mémoire au duc de Brunswick (1782).
Dans les registres conservés, sous les titres de Mélanges A et B, Religion E, Extraits E et F, - que nous publions sous le titre de « Pensées inédites sur l’initiation », dans le « Joseph de Maistre, prophète du christianisme transcendant » [11] -, sont dévoilées les multiples références à la pensée d’Origène, dont en particulier le passage suivant, mettant en lumière le lien entre la conception d’Origène, considérant que la création du monde matériel ne fut pas produit par l’effet de la bonté de Dieu, mais est une conséquence de la Chute, ayant entraîné les âmes à être enfermées dans des corps de matière : « Saint Augustin (Cité de Dieu, XI, 23) a mal compris Origène [12], quand celui-ci dit que la cause de la matière est non la bonté de Dieu seule, mais que les âmes, ayant péché en s'éloignant de leur créateur, ont mérité d'être enfermées en divers corps comme dans une prison selon la diversité de leurs crimes, et que c'est là le monde (matériel) qu'ainsi la cause de sa création (du monde physique) n'a pas été pour faire de bonnes choses, mais pour en empêcher de mauvaises. L'opinion dont il s'agit n'a rien de commun avec le manichéisme. On peut observer qu'elle est encore aujourd'hui la base de toutes les initiations modernes. » (2 décembre 1797, Mélanges B, p. 302).
Maistre résume donc ainsi sa conviction à propos du christianisme primitif, suite à sa lecture d’Origène : « Le christianisme dans les premiers temps était une initiation où l'on dévoilait une véritable magie divine. » (Mai 1797, Mélanges B, p. 518).
VI. La présence universelle du « mal » : La matière comme dégradation
C’est d'ailleurs en effectuant ce vigilant examen sur les événements, en analysant l’étonnant et le plus souvent effrayant mécanisme de cette dialectique négative, que Maistre est parvenu à brillamment mettre en lumière l’abyssal mystère du mal logé au cœur du destin de l’humanité. Joseph de Maistre accomplit ainsi un passage très net de la politique naturelle ou positive à la métaphysique ou théologie de l’histoire.
Pour lui les contradictions, les crises, les égarements, l’aveuglement manifeste des hommes, témoignent de la domination du mal qui a blessé et abîmé les créatures, ils rendent compte de la souveraineté du mal qui a renversé l’ordre premier et originel, qui a tout dégradé, faisant de l’ordre présent un ordre « inversé », dévié et corrompu.
Maistre pense que puisque plus rien n’est situé à la place qui est la sienne, puisque nulle chose n’est là où normalement elle devrait être, tout est mal, tout est sous l’emprise universelle de la Chute, tout vit courbé, ployant sous le poids de la corruption et du vice. Comme le rappelle l’Ecclésiaste : « Il n’y a point de juste sur terre » (Eccl. VII, 20). Pour le dire clairement, à présent, toute forme d’existence est concrètement « animée », et ce dès sa conception, par le père du mensonge. Maistre affirme : « Le mal a tout souillé, et dans un sens très vrai tout est mal puisque rien n’est à sa place. (...) Tout les êtres gémissent et tendent avec effort vers un autre ordre des choses. » (Oeuvres Complètes, t. I, p. 39).
« Le mal a tout souillé, et dans un sens très vrai
tout est mal puisque rien n’est à sa place. (...)
Tout les êtres gémissent et tendent avec effort
vers un autre ordre des choses. »
Le mal correspond ainsi à la rupture de l’ordre primitif et son essence s’exprime par l’oeuvre de division accomplie contre « l’Unité » située à la base et au fondement invisible du Principe. Le mal est venu rompre l’harmonie céleste du « Royaume de Dieu », ce qui fait que depuis ce moment terrible subsiste une fracture permanente, une lutte entre deux forces antagonistes qui se livrent un combat impitoyable, Maistre écrit : « Il n’y a rien de si évident dans l’univers que l’existence de deux forces opposées qui se contrarient sans relâche. Il n’y a rien de bon que le mal ne souille et n’altère... » (Mélanges B (inédit), p. 303 ; 22 oct. 1797).
L’histoire du monde est, à ce titre, l’histoire continuée de la Chute ; le péché originel est l’explication de tout, et ce péché irrémissible se répète « à chaque instant de la durée d’une manière secondaire.» (Soirées, IIe Entretien.) Maistre, à juste titre, tient à préciser : « toute dégradation ne pouvant être qu’une peine, et toute peine supposant un crime, la raison seule se trouve conduite, comme par force, au péché originel: car notre funeste inclination au mal étant une vérité de sentiment et d’expérience proclamée par tous les siècles, et cette inclination toujours plus ou moins victorieuse de la conscience et de lois, n’ayant jamais cessé de produire sur la terre des transgressions de toute espèce, jamais l’homme n’a pu reconnaître et déplorer ce triste état sans confesser par là même le dogme lamentable dont je vous entretiens ; car il ne peut être méchant sans être mauvais, ni mauvais sans être dégradé, ni dégradé sans être puni, ni puni sans être coupable. » (Ibid).
La matière est donc, en quelque sorte, le résultat d’une dégradation, la conséquence d’une faute, une authentique prison dont il convient de travailler à s’extraire en se réconciliant avec Dieu, en œuvrant courageusement à « réintégrer » notre véritable condition première et originelle dont nous avons été malheureusement déchus. Les âmes souffrent de cet enfermement au sein de la matière, elles endurent leur douloureuse soumission à l’empire du temps, elles sont condamnées à expier leur faute dans le plus total des isolements ; supportant avec difficulté la division elles n’ont pas d’autre désir plus impératif que de retourner à « l’Unité ».
VII. Les dogmes ne se trouvent pas dans la Sainte Écriture
Il est donc tout à fait significatif de voir Joseph de Maistre considérer, à la suite des penseurs du courant illuministe et dans le prolongement de son attachement à la pensée d’Origène dont on sait sa distance d’avec une approche littérale de l’Écriture, que les dogmes fixés par l’Église sont issus d’une contrainte de l’Histoire, et qu’ils constituent même une sorte « d’obstacle », de barrière réelle à la transmission vivante de la Foi, qui serait « mille fois plus angélique» sans les définitions dogmatiques.
Voici ce que soutient Maistre : « Bien loin que les premiers Symboles contiennent l'énoncé de tous nos dogmes, les chrétiens d'alors auraient au contraire regardé comme un grand crime de les énoncer tous. Il en est de même des Saintes Écritures : jamais il n'y eut d'idée plus creuse que celle d'y chercher la totalité des dogmes chrétiens : il n'y a pas une ligne dans ces écrits qui déclare, qui laisse seulement apercevoir le projet d'en faire un code ou une déclaration dogmatique de tous les articles de foi. (…) Il en est de l'Église comme de l'État : si jamais le christianisme n'avait été attaqué, jamais il n'aurait écrit pour fixer le dogme ; mais jamais aussi le dogme n'a été fixé par écrit que parce qu'il existait antérieurement dans son état naturel, qui est celui de parole. (…) La Foi, si la sophistique opposition ne l'avait jamais forcée d'écrire, serait mille fois plus angélique : elle pleure sur ces décisions que la révolte lui arracha, et qui furent toujours des malheurs, puisqu'elles supposent toutes le doute ou l'attaque, et qu'elles ne purent naître qu'au milieu des commotions les plus dangereuses. L'état de guerre éleva ces remparts vénérables autour de la vérité : ils la défendent sans doute, mais ils la cachent: ils la rendent inattaquable; mais par là même, moins accessible. Ah ! ce n'est pas ce qu'elle demande, elle qui voudrait serrer le genre humain dans ses bras. […] » [13]
« Le Christ n'a pas laissé un seul écrit,
il a promis le Saint-Esprit. »
Maistre rajoute : « Après avoir entendu la Sagesse des nations, il ne sera pas inutile, je pense, d'entendre encore la philosophie chrétienne. Il eût été sans doute bien à désirer, a dit le plus éloquent des Pères grecs [ndr. s. Jean Chrysostome], que nous n'eussions jamais eu besoin de l'écriture, et que les préceptes divins ne fussent écrits que comme ils le sont par l'encre dans nos livres; mais puisque nous avons perdu cette grâce par notre faute, saisissons donc, puisqu'il le faut, une planche au lieu du vaisseau, et sans oublier cependant la supériorité du premier état. Dieu ne révéla jamais rien [par écrit] aux élus de l'Ancien Testament ; toujours il leur parla directement, parce qu'il voyait la pureté de leurs cœurs ; mais le peuple hébreu s'étant précipité dans l'abîme des vices, il fallut des livres et des lois. La même marche s'est renouvelée sous l'empire de la nouvelle révélation ; car le Christ n'a pas laissé un seul écrit à ses apôtres. Au lieu de livres il leur promit le Saint-Esprit. C'est lui, leur dit-il, qui vous inspirera ce que vous aurez à dire. » [14]
VIII. Le christianisme transcendant selon Joseph de Maistre
Cette conception d’un christianisme non-dogmatique, laissé à l’inspiration de « l’Esprit », pourrait apparaître assez étonnante sous la plume de Joseph de Maistre, or, il n’en est rien, c’est au contraire le témoignage du plus profond de sa pensée à l’égard d’une religion qu’il souhaite purifiée, dépouillée de tous les artifices, une religion de la relation immédiate à la « Transcendance », ce en quoi consiste, effectivement, le « christianisme transcendant » dont il se fait le chantre, et d’une certaine manière le « Prophète », en prédisant son avènement prochain.
'’Lorsque ce qui est en dehors, (…)
lorsque la vie ou la génération extérieure
sera devenue semblable à la vie intérieure ou angélique.
Alors il n’y aura qu’une naissance. Il n’y aura plus de sexe.
Le mâle et la femelle ne feront qu’un
et le royaume de Dieu arrivera sur la terre comme au ciel.”
C’est ce que décrivit parfaitement Émile Dermenghem (1892-1971), lors de la publication en 1928, de son Joseph de Maistre Mystique : « C’est une idée analogue que Joseph de Maistre suggère lorsqu’il parle des « habits de peau » (note 3. Soirées, IIe entr., p. 292). La Genèse appellerait ainsi selon l’interprétation théosophique, les corps matériels actuels dont Adam et Eve furent revêtus après la chute. Il évoque de même la réunion des sexes dont la dualité fut une conséquence du Mal. Jésus-Christ, note-t-il (note. 1., p. 293) Mélanges A (inédit), p. 580), reviendra et règnera sur la terre, selon saint Clément, contemporain des Apôtres, ’’Lorsque ce qui est en dehors, (…) lorsque la vie ou la génération extérieure sera devenue semblable à la vie intérieure ou angélique. Alors il n’y aura qu’une naissance. Il n’y aura plus de sexe. Le mâle et la femelle ne feront qu’un et le royaume de Dieu arrivera sur la terre comme au ciel.” Clément d’Alexandrie (note. 2. Avec le mystique anglais Law, The spirit of prayer, 1re partie, p. 86-87. Il cite aussi Maïmonide, et Platon (l’homme double du Banquet). Cf. ci-dessus, IIIe partie, chap. I), ajoute Maistre, cita ces paroles dans le siècle suivant avec quelques altérations ; il cite une réponse semblable du Sauveur à Salomé qui lui faisait même question : ‘‘Lorsque vous aurez déposé le vêtement cde honte et d’ignominie (il s’agit évidemment du corps actuel) ; lorsque les deux deviendront uns, que le Mâle et la Femelle seront unis et qu’il n’y aura plus homme ni femme.’’ Et Maistre commente : ’’Lorsque ce qui est en dehors, etc…, c’est-à-dire lorsque la vie ou la génération extérieure sera devenue semblable à la vie intérieure ou angélique. Alors il n’y aura qu’une naissance. Il n’y aura plus de sexe. Le mâle et la femelle ne feront qu’un et le royaume de Dieu arrivera sur la terre comme au ciel.” » [15]
« Le christianisme, tel que nous le connaissons,
est au véritable christianisme ou christianisme primitif ...,
ce qu’une loge bleue, autrement nommée loge d’apprentis
et compagnons dans la franc-maçonnerie ordinaire,
est à une loge de hauts grades.»
De ce fait Maistre déclare : « Le christianisme, tel que nous le connaissons, est au véritable christianisme ou christianisme primitif, base de toutes leurs spéculations, ce qu’une loge bleue, autrement nommée loge d’apprentis et compagnons dans la franc-maçonnerie ordinaire, est à une loge de hauts grades. Ce christianisme réel, désigné chez les Allemands par le nom de ‘‘christianisme transcendant’’, est une véritable initiation ; il fut connu des chrétiens primitifs, et il est accessible encore aux adeptes de bonne volonté. Ce christianisme révélait et peut révéler encore de grandes merveilles, et il peut non seulement nous dévoiler les secrets de la nature, mais nous mettre même en communication avec les esprits. » [16]
IX. Un contre-révolutionnaire fidèle envers la doctrine de l'illuminisme
De son exil à Cagliari en Sardaigne, Maistre prit la peine de souligner en septembre 1801, à la lecture des affirmations publiées par l’Abbé Augustin Barruel (1741-1820) s.j., dans ses « Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme » (Londres, 4 vol., 1797-1798), la confusion commise par cet auteur à l’égard des illuminés : « Tout ce que l’auteur dit au sujet de M. de Saint-Martin, précise Maistre, est si faux, si calomnieux qu’on a le droit d’en être étonné ! Quant à l’accusation de manichéisme faite à cet écrivain, elle cesse d’être calomnieuse à force d’être ridicule. » Quant à l’allégation que le Martinisme « n’a fait que copier Manès et les Albigeois », Joseph de Maistre ne se fait pas faute de protester vigoureusement en disant : « jamais homme d’esprit n’a écrit rien de plus sot.»
Johann August von Starck (1741-1816),
théologien, membre du Consistoire de Hesse-Darmstadt,
fondateur des "Clercs du Temple".
Dans une lettre inédite du 29 mai 1810, qui ne figure pas dans les Œuvres Complètes, Maistre signale cependant, sans nommer l’auteur du livre auquel il se réfère (Der Triumph der Philosophie im achtzehnten Jahrhunderte, 1803) – et dont il n’ignore évidemment ni l’identité, ni le lien qui fut le sien avec la Stricte Observance allemande – à savoir Johann August von Starck (1741-1816), théologien franc-maçon, créateur des "Clercs du Temple", ou "cléricat" de par le caractère profondément religieux et liturgique de ses cérémonies, qui en arriva, peu à peu, à adopter des positions radicalement antimaçonniques : « L’abbé Barruel dont vous connaissez peut être l’ouvrage intéressant sur l’histoire du jacobinisme, s’est totalement trompé sur la franc-maçonnerie, faute de connaissances suffisantes ; il a été relevé et redressé par le sage et docte auteur allemand du Triomphe de la Philosophie dans le XVIIIe siècle, 2 vol. in-8°, il y a réellement beaucoup à apprendre dans ce livre. On confond tout sous le nom vague de francs-maçons, chaque chose doit être mise à sa place. » [17]
Ce qu’exprime le livre de Starck - un Johann August von Starck qui d’ailleurs écrivait depuis 1796 dans Eudämonia ou le Wiener Magazin, revues dans lesquelles se côtoyaient aussi bien des Jésuites très hostiles à la franc-maçonnerie, comme Laurent Leopold Haschka (1749-1826) ou Felix Franz Hofstäter (1741-1814), que des théosophes comme Eckartshausen - corrige en quelque sorte certaines erreurs de l’abbé Augustin Barruel, tout en confirmant ses préventions à l'égard des disciples d'Adam Weishaupt (1748-1832) et des "Illuminés de Bavière", montrant que les thèses naturalistes et antichrétiennes, furent à l'origine des mouvements révolutionnaires en Europe [18]. Maistre, quant à lui, résuma ainsi sa pensée dans un texte intitulé « Quatre chapitres inédits sur la Russie, Chapitre quatrième « De l’illuminisme », qui ne sera publié qu’à titre posthume par son fils Rodolphe, en 1859, et qui expose de manière remarquable la pensée du comte chambérien au sujet de la nature, des sources et de « l’objet » réel auquel se consacrait la franc-maçonnerie mystique fondée sur le « christianisme transcendant ». Cette analyse, dans laquelle fut éclairée la position du martinisme dans son rapport à la doctrine de Martinès de Pasqually, en établissant un lien avec le piétisme, est absolument essentielle au regard des sujets que nous abordons dans la mesure où Maistre parvint à définir ce qu’est, et en quoi consiste le type de « christianisme » professé par les initiés connus, ou désignés, sous le nom de «martinistes» : « [Les martinistes et illuministes] rapportent tout à l’amour de Dieu, et quoique ce principe excellent soit mêlé chez eux à beaucoup d’alliage plus ou moins répréhensible, il suffit cependant pour leur rendre excessivement chers les écrivains mystiques de l’Église romaine. Ce sont leurs guides et leurs oracles (Sainte Thérèse, saint François de Sales, Fénelon, madame Guyon, etc.). Ils pensent assez communément que les chrétiens de toutes les communions sont sur le point de se réunir sous un chef qui, suivant l’opinion de plusieurs, doit résider à Jérusalem.(…) Ce même système s’oppose à l’incrédulité générale qui menace tous ces pays ; car, enfin, il est chrétien dans toutes ses racines ; il accoutume les hommes aux dogmes et aux idées spirituelles ; il les préserve d’une sorte de matérialisme pratique très remarquable à l’époque où nous vivons, et de la glace protestante, qui ne tend à rien moins qu’à geler le cœur humain. Quant aux martinistes mitigés et aux piétistes qui se bornent à attendre des merveilles, à spéculer sur l’amour divin et sur le règne de l’intérieur, il ne paraît pas que Sa Majesté Impériale ait rien à craindre politiquement de la part de ces hommes…» (Cf. Quatre Chapitres inédits sur la Russie, ch. IV « De l’Illuminisme », 1859).
Par ailleurs, ce qui est tout à fait connu et notoire aujourd’hui, c’est que sa nomination comme ambassadeur à Saint-Pétersbourg, poste qu’il occupera de 1803 à 1817, lui fournira l’occasion d’entretenir de nombreux rapports avec la très florissante maçonnerie Russe et l’important milieu théosophique de ce pays.
X. Théocratie
Sur le plan "métapolitique", ce qui signifie selon la conception maistrienne une dimension purement "Providentialiste" de l'Histoire dans laquelle c'est Dieu qui intervient directement dans les événements qui surviennent au cours du temps, parfois sous la forme de châtiments sévères infligés aux Princes et aux Nations lorsqu'ils s'éloignent des principes sacrés et transcendants - métapolitique qui pour lui était inséparable d'une perspective théologique et eschatologique -, Maistre considérait que le monde devait se conformer aux enseignements de la Révélation divine, unique fondement des lois. Il écrit d'ailleurs de manière assez catégorique : « On ne peut attaquer une vérité théologique sans attaquer une loi du monde » (Du Pape, L. 1er, Chap. I.).
« Le Traité « Du Pape » consigne cette inattendue
mais cohérente dévolution :
L’Empereur ayant disparu avec le Saint Empire,
ne demeure que le Sacerdoce Suprême
pour se voir dévolu l’archétype éternel du Saint Empire.»
C’est pourquoi, à ses yeux, le pape, le « Pontife romain », garant selon-lui de la Tradition, était l’arbitre suprême, celui qui, au-dessus des Rois et des Princes, veille au respect du droit et œuvre pour la paix universelle : « L’infaillibilité dans l’ordre spirituel et la souveraineté dans l’ordre temporel sont deux mots parfaitement synonymes » (Ibid.), soutient Maistre. L’attachement de Maistre à l’institution de la papauté, à « L’Héritier des Apôtres » comme le désigne saint Bernard (+ 1153), relève d’une idée, certes non directement explicite, quoique toutefois fort précise qui transparaît sous chaque ligne « Du Pape », que l'on peut résumer de la manière suivante : le pape est le seul qui possède encore l’autorité nécessaire capable de restaurer, dans une Europe livrée au chaos des égoïsmes nationaux et au venin révolutionnaire, l’unité du Saint Empire : « Le Traité « Du Pape » consigne cette inattendue mais cohérente dévolution. L’Empereur ayant disparu avec le Saint Empire, ne demeurait que le Sacerdoce Suprême pour se voir dévolu l’archétype éternel du Saint Empire.» [19]
Ainsi l’insistance sur l’infaillibilité, source de toute souveraineté légitime, qui fait l’objet d’un important développement dans le livre - au point que cette notion suscita même quelques réserves à Rome et le prudent silence de Pie VII, avant d'être cependant adoptée par le Concile de Vatican I en 1870 -, n’a pas d’autre objet que d’asseoir l’incontestable autorité du Pontife romain par dessus toutes les autres formes de souverainetés. Maistre est sur cette question très clair : « Le Souverain Pontife est le chef naturel, le promoteur le plus puissant, le grand Démiurge de la civilisation universelle.» (Ibid.). Le pape est donc pour Maistre le seul garant, de par l’évidente supériorité de sa fonction, d’un possible retour sur le continent de l’unité politique et spirituelle. Il incarne l’espoir d’une restauration véritable de l’ordre traditionnel, entre ses mains sacrées repose l’ultime possibilité d’un redressement futur du Saint Empire [20]. On notera à ce propos que Louis-Claude de Saint-Martin ne fut pas moins «théocrate» que Maistre, et ils peuvent être considérés à bon droit, l’un et l’autre, comme des représentants éminents de l’école théocratique, mais, cependant, d’une manière absolument différente, car si leur perspective est identique, à savoir l’établissement de l’autorité de l’Esprit et la sacralisation des institutions humaines afin qu’advienne le règne divin, les méthodes préconisées pour parvenir à ce but espéré, étaient relativement dissemblables, pour ne pas dire extrêmement opposées et antagonistes. Mais l’on peut constater que Saint-Martin, eut également des lignes très voisines de celles de Maistre sur l’effet « régénérateur » de la Révolution, insistant sur son rôle providentiel, thème permanent de l’analyse des deux penseurs théocrates : « Je crois voir dans notre étonnante révolution un dessein marqué de la Providence de nous faire recouvrer à nous, et successivement à bien d’autres peuples (quoique je ne sache pas par quel moyen) le véritable usage de nos facultés, et de dévoiler aux yeux des Nations ce but sublime qui intéresse la société humaine tout entière, et embrasse l’homme sous tous ses rapports.» (Lettre à un ami… sur la Révolution française, 1795). [21]
« Le livre du Pape par M. le Comte de Maistre est bien bon à méditer .»
(Fonds Willermoz, BM de Lyon, MS 5898).
Enfin, est intéressant de souligner sur ce sujet, que Jean-Baptiste Willermoz - assidu aux réceptions et aux dîners officiels du cardinal Joseph Fesch (1763-1839), alors archevêque de Lyon et Primat des Gaules, qui recevait à déjeuner les vicaires généraux de l'évêché et qu'il leur faisait visiter sa chapelle particulière, et qui fut convié en 1805 à baiser la main du pape Pie VII, pendant son passage à Lyon -, conserva dans ses archives deux lettres, l’une du 8 octobre 1820 et l’autre du 18 juin 1821, envoyées par un certain Raimond, Chevalier Bienfaisant de la Cité Sainte, à Willermoz, dans lesquelles on peut lire, dans la première des deux : « Le livre du Pape par M. le Comte de Maistre est bien bon à méditer » (MS 5898), et dans la suivante : « Votre lettre m’a trouvé dans les Soirées de Saint-Pétersbourg dont je suis enchanté » (MS 5899).
Ces jugements, destinés à Willermoz, et émanant de la plume d’un initié, sont, nous semble-t-il, la meilleure et plus pertinente illustration qu’il se puisse se donner, « symboliquement », à un examen des rapports existant entre Maistre et le courant de la maçonnerie écossaise au XVIIIe siècle, démontrant ainsi l’admirable intimité de cette œuvre avec la doctrine de l’illuminisme, dont on pourrait dire qu’elle en est, dans une langue que tous s’accordent à reconnaître comme étant d’une exceptionnelle pureté et beauté de style, la plus parfaite et pénétrante traduction de ces fondements essentiels jamais écrite jusqu’à ce jour.
Joseph de Maistre, après une vie entièrement consacrée à la recherche de la "Vérité", s’éteignit le 26 février 1821 ; sa dépouille, en forme d’hommage posthume, comme on le faisait uniquement pour les membres de la Compagnie de Jésus, fut solennellement et pieusement déposée dans la crypte de l’église des martyrs, chapelle nécropole des jésuites à Turin.
Sépulture de Joseph de Maistre
dans l'Église des Saints Martyrs à Turin.
Conclusion
Le gouvernement de la Divine Providence, la compréhension métaphysique de la Chute originelle et l’analyse de ses conséquences aboutissant à la nécessaire mise en œuvre du travail de « Réintégration », la perspective eschatologique devant nous conduire au pieds de la Sainte Montagne portant en son sommet l’Agneau de Dieu (Agnus Dei), d'où se manifestera à la fin des temps la Jérusalem Céleste, la doctrine de Joseph de Maistre, exposée dans son œuvre est celle qu’il reçut dans les cercles initiatiques dirigés, de Lyon, par Jean-Baptiste Willermoz dans lesquels il n’a trouvé selon ses propres paroles : « que bonté, douceur et piété même à leur manière. » (Soirées XIe Entretien).
L’attente de cette religion renouvelée inspire ces lignes à Maistre, où tel un visionnaire, il annonce : « Plus que jamais nous devons nous occuper de ces hautes spéculations, car il faut nous tenir prêts pour un événement immense dans l'ordre divin, vers lequel nous marchons avec une vitesse accélérée qui doit frapper tous les observateurs. Il n'y a plus de religion sur terre: le genre humain ne peut demeurer dans cet état. Des oracles redoutables annoncent d'ailleurs que les temps sont arrivés. » [22] Pour hâter ces temps libérateurs, Maistre, en forme d’instante prière, déclare : « Cédons à l’amour et entrons dans la voie royale qui aboutit à la Cité Sainte. »
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1 - Joseph de Maistre, prophète du « christianisme transcendant »
Textes choisis et présentés par Jean-Marc Vivenza
Éditions Signatura, Parution 2015 • Format 140 x 210 •
150 pages • Prix public TTC : 15 €
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Le Colporteur du Livre
Notes.
1. Note de Joseph de Maistre, 1816. Dossier « Illuminés », archives du comte Rodolphe de Maistre.
2. J. Rebotton, Introduction, in. Joseph de Maistre, Oeuvres, vol. II, op. cit, p. 27.
3. Lorsque Maistre écrit dans le XIe Entretien des Soirées en évoquant le christianisme professé par les illuminés allemands : « C’est ce que certains Allemands ont appelé le christianisme transcendantal. Cette doctrine est un mélange de platonisme, d’origénianisme et de philosophie hermétique, sur une base chrétienne », il traduit l’expression d’outre-Rhin : « Transzendental Christentum », que l’on trouvait sous la plume de certains auteurs du courant illuministe. On pourrait donc penser que Maistre adopte le terme « transcendantal », avec toutes les implications philosophiques afférentes signalées par le dictionnaire, et dont les « transcendantaux » en métaphysique offrent un déploiement sémantique et herméneutique d’une prodigieuse richesse, qui fut d’ailleurs largement utilisée par Emmanuel Kant (1724-1804). La résolution de la difficulté nous est cependant fournie par un autre texte de Maistre qui n’était pas destiné à la publication, à savoir les « Quatre chapitres inédits sur la Russie » - issus de pages confidentielles édités par le fils de Joseph Maistre, le comte Rodolphe de Maistre, à titre posthume à Paris, (Librairie Auguste Vaton, 1859). Voici ce qu’on peut y lire : « Ce christianisme réel, désigné chez les Allemands par le nom de christianisme transcendant, est une véritable initiation ; il fut connu des chrétiens primitifs, et il est accessible encore aux adeptes de bonne volonté. » (Cf. Quatre chapitres sur la Russie, chapitre quatrième, « De l’illuminisme », op.cit., pp. 91-128). Maistre fait donc bien référence dans les Soirées, à un « christianisme transcendant », lorsqu'il parle du christianisme « transcendantal », la suite est importante : « connu des chrétiens primitifs, et accessible encore aux adeptes de bonne volonté ».
4. Une étude de Dominique Clérembault sur le site Philosophe Inconnu, en trois parties, montre les liens étroits existant entre la pensée de Joseph de Maistre et celle de Louis-Claude de Saint-Martin : I. Joseph de Maistre et le Philosophe inconnu par Georges Goyau ; II. Le martinisme dans les Soirées de Saint-Pétersbourg ; III. .. Ces liens doctrinaux et spirituels furent mis en lumière, non seulement par les biographes de Joseph de Maistre depuis sa disparition, mais également, et c’est ce que fait apparaître cette étude, par Maistre lui-même dans certains de ses ouvrages. Voici ce qu’écrit Dominique Clairembault : « Dans le « Onzième entretien » des Soirées de Saint-Pétersbourg, Joseph de Maistre présente le Philosophe inconnu comme « le plus instruit, le plus sage et le plus élégant des théosophes modernes ». L'auteur des Soirées, chevalier bienfaisant de la Cité sainte, a lu, non sans les critiquer parfois, les œuvres de Saint-Martin. Il l’a aussi rencontré en septembre 1787, à l'occasion de son passage à Chambéry, alors que le théosophe voyageait vers l'Italie. Lorsqu'en 1793 il évoquera cette rencontre, il précisera : « M. de Saint-Martin est un gentilhomme français de 35 à 45 ans, de mœurs fort douces et infiniment aimables. On n’aperçoit rien d’extraordinaire dans ses manières ni dans sa conversation. » (Mémoire à Vignet des Étoles, archives départementales de la Savoie, 2J 11.) L'influence de la pensée du Philosophe inconnu sur l'œuvre de Maistre a été étudiée par plusieurs auteurs. Georges Goyau l'aborde dans son étude sur « La pensée religieuse de Joseph de Maistre, d'après des documents inédits », publiée en 1921 dans la Revue des deux-mondes. La même année, François Vermale publie ses Notes sur Joseph de Maistre, Inconnu (Librairie Dardel, Chambéry). Il s'était déjà penché sur le cas de Maistre dans La Franc-Maçonnerie savoisienne à l'époque révolutionnaire (Leroux, 1912). Paul Vulliaud et Émile Dermenghem s’intéressent également à la question du martinisme de l'auteur des Soirées, le premier dans Joseph de Maistre franc-macon (Nourry, 1926), le second dans Joseph de Maistre mystique (éd. du Vieux Colombier, 1946). Depuis, d'autres chercheurs ont repris leurs réflexions, sans toutefois apporter d'éléments réellement novateurs. » (Cf. Joseph de Maistre et le martinisme, Philosophe Inconnu.com).
5. Dermenghem, Joseph de Maistre Mystique, éditions du vieux colombier, Paris, 1948, p. 46.
6. J. de Maistre, Mémoire sur la Franc-maçonnerie adressé au baron Vignet des Etoles, Oeuvres II, éd. Slatkine, 1983, p. 138.
7. Origène est né en Égypte où il reçut une formation hellénique et une éducation biblique. La connaissance qu'il possédait de la philosophie grecque lui permit de tisser des liens profonds avec le platonisme alexandrin de son temps, reprenant le projet de Pantène (+ v. 216) et de Clément d’Alexandrie, qui consistait à former une sorte d'université, la Didascalée, où toutes les sciences humaines étaient mises au service de la théologie. Désigné comme le successeur de Clément d'Alexandrie qui avait été à la tête de l'école catéchétique, il y enseigna entre 212 et 231. Vers 250, lors de la persécution de Dèce, Origène fut arrêté et torturé. Retrouvant sa liberté, il meurt peu après, des suites de ses blessures, à Tyr en 252. Son œuvre est immense, allant de Commentaires sur l'Écriture Sainte, aux livres d'exégèse, homélies, controverses (Apologie du christianisme contre Celse, De la prière, l'Exhortation au martyre, etc.), mais son ouvrage principal, résumant sa pensée théologique et métaphysique, est le Traité Sur les Principes (De principiis).
8. M. Froidefont, Théologie de Joseph de Maistre, Éditions Classiques Garnier, 2010, pp. 14-15.
9. R. Triomphe, Joseph de Maistre. Étude sur la vie et sur la doctrine d'un matérialiste mystique, Droz, 1968, p. 438.
10. Voir J.-M. Vivenza, La doctrine de la réintégration des êtres, La Pierre Philosophale, 2ème édition, 2013, ainsi que Joseph de Maistre et le Régime Écossais Rectifié, Dossier H, l'Âge d’Homme, 2005.
11. En 1922, dans Le Correspondant, Émile Dermenghem (1892-1971) publiait des « fragments inédits » de Joseph de Maistre tirés des registres conservés, sous les titres de Mélanges A et B, Religion E, Extraits E et F, dans les archives du comte Rodolphe de Maistre. Ces fragments n’avaient depuis jamais été réédités, malgré leur valeur de premier ordre dans la compréhension de la pensée maistrienne. Comme le rappelle É. Dermenghem : « Joseph de Maistre fait allusion, au début du neuvième entretien des Soirées de Saint-Pétersbourg à «ces volumes immenses » où il écrivait, «depuis plus de trente ans», tout ce que ses lectures lui présentaient de plus frappant. ‘‘Quelquefois, dit-il, je me borne à de simples indications; d'autres fois je transcris mot à mot des morceaux essentiels; souvent je les accompagne de quelques notes, et souvent aussi j'y place ces pensées du moment, ces illuminations soudaines qui s'éteignent sans bruit si l'éclair n'est fixé par l'écriture. Porté par le tourbillon révolutionnaire en diverses contrées de l'Europe, jamais ces recueils ne m'ont abandonné et maintenant vous ne sauriez croire avec quel plaisir je parcours cette immense collection’’(…).» (É. Dermenghem, Le Correspondant, 94ème Année, t. 287 (Nouv. Série : 251ème), n° 1432, 25 mai 1922, pp. 631-640).
12. Saint Augustin écrit à propos d’Origène : « Ils prétendent que les âmes, dont ils ne font pas à la vérité les parties de Dieu, mais ses créatures, ont péché en s’éloignant de leur Créateur; qu’elles ont mérité par la suite d’être enfermées, depuis le ciel jusqu’à la terre, dans divers corps, comme dans une prison, suivant la diversité de leurs fautes; que c’est là le monde, et qu’ainsi la cause de sa création n’a pas été de faire de bonnes choses mais d’en réprimer de mauvaises. Tel est le sentiment d’Origène, qu’il a consigné dans son livre ‘‘Des principes’’. » (S. Augustin, La Cité de Dieu, XI, 23).
13. J. de Maistre, Essais sur le principe générateur des constitutions politiques et des autres institutions humaines, 1809.
14. Ibid.
15. Émile Dermenghem, Joseph de Maistre Mystique, La Colombe, op. cit., pp. 292-293.
16. J. de Maistre, Quatre chapitres inédits sur la Russie, Publiés par son fils le comte Rodolphe de Maistre. Paris. Librairie d’Aug. Vaton, éditeur, rue du Bas, n° 50 - 1859.
17. R. Triomphe, op.cit., p. 534.
18. Voici ce qu’expliqua Johann August von Starck concernant le projet d’Adam Wesihaupt et des IIlluminés de Bavière, courant désigné sous le nom «d’Illuminatisme», dans un texte peu connu, envoyé secrètement en 1797 à l’Abbé Barruel, et conservé dans les archives de l’Ordre des Jésuites : « Le grand mystère de l’Ordre par rapport à la Religion, consistait dans la doctrine : que le Christianisme n’était fondé que sur l’imposture et la superstition et qu’en récompense, le Déisme, la religion de la Raison et le Naturalisme, étaient la vraie religion. Il est vrai qu’on laissa subsister le nom de du Christianisme, mais on le dépouilla entièrement de tout ce qu’il y avait de religion positive de sorte qu’il ne restât que le naturalisme. (…) Par rapport à la Religion on substitua au Christianisme le Naturalisme ; et pour tromper tous ceux qui avaient encore de la vénération pour le nom de Christ et pour le Christianisme, et qui se seraient éloignés en tremblant s’ils avaient vu que pour les illuminés [de Wesihaupt] il fallait rejeter le Christianisme ouvertement, on ne laissa pas d’insinuer que Jésus-Christ Lui-même n’avait pas eu d’autre but que de faire valoir la religion naturelle et de la rendre universelle et qu’on exécutait son plan, si l’on travaillait à la restauration de cette religion (…) On avait donc formé le dessein d’anéantir la Religion ; pour en venir à bout on se servit de la fausse supposition du Catholicisme et Jésuitisme secret comme d’un remède souverain contre le Christianisme à l’avantage du Déisme. On traita non seulement de superstition catholique les prophètes, les miracles, l’existence des Esprits et des Anges et par degré tout ce qu’il y avait de positif dans le Christianisme ; mais aussi dépeignit-on tous ceux qui osèrent encore soutenir ces doctrines, comme des hommes faibles et dirigés par les Jésuites même à leur insu. (…) Le but général qui renferme tous les autres : cette régénération ne saurait être faite et achevée que par l’abolition du Christianisme, par l’introduction de la religion de la Raison, par le renversement des Trônes et par la fondation d’une ‘‘République universelle’’. Il faut être singulièrement ignorant de tout ce qui est arrivé en France, ou des secrets de l’Illuminatisme, pour ne pas voir que c’est par la Révolution qu’on a voulu réaliser les projets de l’Illuminatisme. Tout ce qu’on a fait en France, le renversement du trône, le meurtre du Roi, l’établissement d’une République démocratique, l’anéantissement de la noblesse, l’introduction d’une égalité chimérique, la destruction de la Religion et du Sacerdoce, tout cela n’était rien autre chose que la réalisation des projets formés dans l’Illuminatisme. (…) L’inscription qu’on pourra mettre sur les ruines des Trônes, des débris des Autels et les monceaux de cendres qui couvriront en peu de temps toute l’Europe, peut-être conçue dans ces deux mots : ‘L’ouvrage de l’Illuminatisme’’. » (J. A. von Starck, Histoire de l’Illuminatisme, 29 juillet 1797, Archives de la Province de France des Jésuites).
19. G. Durand, Un Comte sous l’acacia : Joseph de Maistre, Editions Maçonniques de France, 1999, p. 107.
20. Il est, à juste titre, significatif que la phrase de l’épigraphe qui figure sur la page de garde du livre « Du Pape », ne soit pas celle d’un Père de l’Eglise où d’un pieux auteur, mais paradoxalement extraite du poème homérique « l’Iliade », phrase révélant nettement la pensée intérieure du comte savoisien, indiquant sans détour : « Trop de chefs vous nuiraient ; qu’un seul homme ait l’Empire… » (Homère, Iliade, II v. 204 sq.).
21. Au sujet des conceptions « théocratiques » de Joseph de Maistre et Louis-Claude de Saint-Martin, voir : Appendice V. La théocratie selon Joseph de Maistre et Saint-Martin, in J.-M. Vivenza, L’Église et le sacerdoce selon Louis-Claude de Saint-Martin, La Pierre Philosophale, 2013, pp. 393-415.
22. J. de Maistre, Soirées de Saint-Pétersbourg, XIe Entretien, 1821.
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mardi, 01 septembre 2009
La Sophia et ses divins mystères
Vient de paraître aux éditions Arma Artis
Jean-Marc Vivenza, La Sophia et ses divins mystères, Arma Artis,
septembre 2009, 71 pages.
Extraits
La Sagesse, Sophia ou « éternelle SOPHIE », dont Louis-Claude de Saint-Martin a très souvent, dans son œuvre [1], évoqué l’importance spirituelle, occupe une place centrale dans l’économie de la Révélation judéo-chrétienne et, depuis l’origine la plus lointaine, après avoir traversé les traditions de l’Egypte et de la Mésopotamie [2], est intimement associée à l’activité divine dans les livres sapientiaux de la Bible, des Proverbes à l’Ecclésiastique.
Dès les premiers commencements nous la voyons présente aux côtés de l’Eternel, s’imposant dans son rôle essentiel et invisible, ainsi que nous l’expose le Livre des Proverbes de Salomon, fils de David, roi d’Israël.
[...]
Pénétrant toute réalité, elle habite les cœurs en tant que pur reflet de la Lumière divine, c’est la sainte auxiliaire du Plan divin, la pieuse servante du Seigneur collaborant depuis l’origine des choses, visibles et invisibles, à l’œuvre créatrice, la féconde dispensatrice des grâces vivifiantes répondant, avec une docilité parfaite et une doux acquiescement, aux volontés célestes.
Poursuivant son œuvre d’assistance auprès de Dieu, elle est, effectivement, « l’ouvrière de toutes choses », dominant la création et surplombant l’univers de sa bienveillante et amoureuse protection ; Dieu agit par elle, n’oublions pas, comme il agit par la puissance mystérieuse de son Esprit : « Et ta volonté, qui l’aurait connue, si toi-même n’avais donné la Sagesse et n’avais envoyé d’en-haut ton Esprit-Saint ? » (Sagesse, IX, 17). Il semble donc, si l’on veut bien y songer un instant avec un minimum d’attention, que du point de vue de notre relation à Dieu, cela soit parfaitement identique que d’obéir à la Sagesse, de se soumettre à ses vues, d’avoir confiance en son action bienfaisante, de s’ouvrir sincèrement à son influence secrète, que d’accueillir, avec humilité, l’Esprit du Très Haut [3].
[...]
Saint Augustin dira que la Sagesse, pour la créature, est la contemplation de la vérité, lui permettant de recevoir la ressemblance de Dieu [4] ; saint Grégoire de Naziance affirmera qu’elle seule est capable de rendre notre âme pure devant Dieu, et par cette pureté, nous unir à celui qui est pur, nous conformant ainsi à la sainteté du Saint des Saints. Théophile d’Antioche, saint Clément d’Alexandrie, puis Irénée de Lyon, identifieront tout à la fois le Fils et l’Esprit Saint à la Sophia. Irénée écrit, pour ce qui le concerne, en évoquant le Père : « Il a fait toutes choses par lui-même, c’est-à-dire par son Verbe et par sa Sagesse. » [5] ; et encore : « Celui qui nous a faits et modelés, qui a insufflé en nous un souffle de vie et qui nous nourrit par la création, ayant tout affermi par son Verbe et tout coordonné par sa Sagesse, Celui-là est le seul vrai Dieu.» [6]
Il est à noter que le courant gnostique fit de la Sagesse, dans ses très nombreux écrits, un « éon », l’idée de Sagesse s’imposant avec une rare force insistante dans les textes de ce courant : « L’idée de la sagesse, de la Sophia, devient, dans la gnose, une entité spirituelle femelle, susceptible d’être vue, et, inversement, la personne du Fils de Dieu céleste pourra devenir la pure Idée absolument impersonnelle du Logos. » [7]
La Sophia, pour les gnostiques, est ainsi une entité présente en mode d’immanence qui pénètre l’ensemble de la réalité du monde visible, l’agent actif qui s’établit dans une correspondance secrète et intime avec le Logos.
[...]
« Vous adorez ce que vous ne connaissez pas,
Nous nous adorons ce que nous connaissons… »
(Jean 14, 22)
Notes.
[1] « Quand je me suis approché de la Sagesse, j'ai senti que l'homme qui aurait le bonheur de s'en remplir n'aurait d'indifférence pour rien, qu'il donnerait à chaque chose le degré d'intérêt qui leur appartient, à César ce qui est à César, à Dieu ce qui est à Dieu, car il comprendrait trop de quelle importance seraient les mécomptes dans cette sorte de calcul. » (Mon portrait historique et philosophique, [329], op.cit, pp. 172-173.)
[2] Connue en Assyrie sous le nom de « Mé », la Sagesse sera désignée en Egypte en tant que « Maât », soit, sous les traits de la célèbre déesse symbolisant l’ordre et la justice, une sagesse d’essence effectivement incréée, ceci dit sans minorer le fait que de nombreux écrits, comme les instructions D’Amen-Em-Opet, ou le « Livre des Morts », recèlent des éléments qui ne sont pas sans préfigurer la figure de la Sagesse qui se laissera découvrir dans les textes sapientiaux plus tardifs.
[3] Le Livre de Baruch, de l’hébreu « Baroukh » qui signifie le « Béni », attribué à Baruch ben Neria, c’est-à-dire l'ami et le secrétaire de Jérémie selon la tradition du Tanakh [Tanakh, est un acronyme : תנ״ך qui désigne la Bible hébraïque contenant la Torah (la Loi ou Pentateuque), les Nevi’im (les Prophètes), les Ketouvim (les Ecrits)]. Ce Livre, qui comporte essentiellement des prophéties qui proviennent de la période de l’exil à Babylone, dont le style et l’éloquence enthousiasmèrent Jean de La Fontaine (1621-1695), est un apocryphe que l’ont dit être du début du VIe siècle avant J.-C., mais qui ne fut sans doute rédigé que vers le IIe siècle, évoque, en quelques passages intéressants, la figure de la Sagesse, et nous montre sa place significative dans la pensée du judaïsme ancien : « … Tu as délaissé la source de la Sagesse. Si tu avais suivi le chemin de Dieu, tu habiterais dans la paix pour toujours. Apprends où est le discernement, où est la force, où est le savoir pour connaître en même temps où sont la longévité et la vie, où sont la lumière des yeux et la paix. Qui a trouvé la résidence de la Sagesse et qui est entré dans ses trésors? […] La Sagesse c'est le livre des commandements de Dieu c'est la Loi qui existe pour toujours; tous ceux qui s'attachent à elle iront à la vie, mais ceux qui l'abandonnent mourront. Retourne-toi, Jacob, et saisis-la; fais route vers la clarté, à la rencontre de sa lumière. » (Baruch 3, 12-15 ; 4, 1-2).
[4] « Sapientia est contemplatio veritatis, pacificans totum hominem, et suscipiens similitudinem. » (Lib. I de Serm. Domini in monte).
[5] Irénée de Lyon, Contre les hérésies, II, 30, 9, Cerf, 1985, p. 254.
[6] Ibid., III, 24, 2, p. 396.
[7] H. Leisegang, La Gnose, Payot, 1971, p. 15.
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