mardi, 06 mars 2012
Martinézisme et Martinisme
Le Chevalier de la Rose Croissante
et
Les sources guénoniennes de l’anti-martinisme
Jean-Marc Vivenza
Pour le Chevalier de la Rose Croissante :
« Les procédés théurgiques du juif portugais [Martinès] (sic)
étaient trop violents pour la théosophie
délicate et rêveuse de [Saint-Martin]. »
Les critiques contre le Martinisme ou Louis-Claude de Saint-Martin (1743-1803) ne sont pas nouvelles, dès le XVIIIe siècle les vérités exposées avec une relative vigueur par le Philosophe Inconnu à propos de l’infinie supériorité de la voie du christianisme transcendant et intérieur sur le plan spirituel par rapport aux méthodes externes, choquèrent quelques esprits peu enclins à s’interroger sur les exigences de l’Evangile et provoquèrent, chez certains, des réactions parfois singulièrement irrationnelles.
Cependant, il est intéressant de constater que ces attaques du passé retrouvèrent un écho significatif et redoublèrent d’intensité à la périphérie de la lutte qui opposa, au début du siècle dernier, René Guénon (1886-1951) et ceux qui, à ses côtés, s’engagèrent dans la création, dans des circonstances rocambolesques, de l’Ordre du Temple Rénové, les amenant à entreprendre un combat contre Papus, l’Ordre Martiniste et Saint-Martin lui-même, ce dernier tour à tour chargé de nombreuses fautes à leurs yeux inexpiables, et notamment jugé responsable des troubles qui surgirent dans l’Ordre des Chevaliers Maçons Elus Coëns de l’Univers et entraînèrentsa disparition après la mort de Martinès de Pasqually (+1774).
I. René Guénon et Papus
Comment cette querelle prit naissance ? Tout commença à partir du moment où René Guénon s’inscrivit en 1906 à l’Ecole des Sciences hermétiques de Papus - de son vrai nom Gérard Anaclet Vincent Encausse (1865-1916) – et devint Martiniste avant de découvrir, dans les premiers temps de sa vie initiatique, la maçonnerie du Rite National Espagnol fondé par don Villarino del Villar lié au Rite de Memphis Misraïm, au sein de laquelle il fut reçu le 25 octobre 1907 dans la Loge Humanidad n° 240 dont Charles-Henri Détré dit Téder (1855-1918), un intime de Papus à la tête de l’Ordre Martiniste, était le Vénérable Maître. Le même jour, Guénon sera admis dans le Chapitre et Temple « I.N.R.I. » du Rite Primitif et Originel Swedenborgien de John Yaker (1833-1913), se voyant également remettre des mains de Theodor Reuss (1855-1923) le cordon noir de Kadosh.
René Guénon se fera consacrer évêque en 1909
au sein de l’Eglise gnostique
C’est à cette période que Guénon se fera consacrer évêque, au début de 1909 par Fabre des Essarts (1848-1917) au sein de l’Eglise gnostique fondée par Jules Doinel (1842-1902) [1] en 1889 à l’occasion d’une séance spirite chez Maria de Mariategui, Lady Caithness duchesse de Medina Pomar (1830-1895), membre bienfaitrice de la Société Théosophique qui fut en relation avec la Hermetic Brotherhood of Luxor [2].
Se désignant comme évêque gnostique d'Alexandrie, Guénon prit le nom de « Sa Grâce Tau Palingénius d’Alexandrie » occupant l’office de Secrétaire Général de l’Eglise Gnostique de France.
II. La création de l’Ordre Rénové du Temple
Dans l’atmosphère singulière de l’Eglise Gnostique, et de ceux qui en étaient les membres actifs et dirigeants, Guénon n’hésitera pas à s’engager dès 1908 dans la création d'un Ordre Rénové du Temple ce qui lui vaudra son exclusion officielle de l’Ordre Martiniste de Papus, et une mise à l'écart de tous les cercles plus ou moins occultistes qui fleurissaient au début de XXe siècle à Paris. [3]
La formation de l’Ordre du Temple Rénové,
fut précédée par des séances d'invocations spirites
qui eurent lieu chez Albéric Thomas
Il est à remarquer, ce qui n’est pas sans être surprenant, que la formation du seul Ordre initiatique que dirigea réellement Guénon durant sa vie, à savoir l’Ordre du Temple Rénové, fut précédée par des séances d'invocations spirites qui commencèrent le 19 janvier 1908 et qui eurent lieu chez Albéric Thomas (1886-1914) au numéro 17 de l'hôtel de la rue des Canettes, puis, selon Paul Chacornac (1884-1964), rue Saint-Louis en l’île, directement chez Guénon, où une « entité » qui se présentait comme étant Jacques de Molay le Grand Maître historique de l’Ordre se manifesta à Albéric Thomas, Jean Desjobert (1887-1914) et Lucien Faugeron (+1947), pour que soit constitué un « Ordre du Temple Rénové », désignant Guénon comme son chef.
Guénon, entouré d’Albéric Thomas,Jean Desjobert et Lucien Faugeron, répondit favorablement à l'invitation spectrale, et se mit, sans crainte aucune, à la tête de la nouvelle organisation devenant, selon la signature qu’il utilisa, le : Souverain Grand Maître Commandeur de l’Ordre du Temple.
III. Hostilité à l’égard du Martinisme
Philippe Encausse (1906-1984), qui possédait la note d'information écrite par Téder, à propos de la constitution de l'Ordre du Temple Rénové en 1908, nous fait voir un Guénon, aidé par Albéric Thomas et ses amis, agissant avec une détermination assez vigoureuse : « G. [Guénon], devait s'emparer de toutes les adresses martinistes. Son Ordre était fondé sur l'idée de la vengeance templière avec Weishaupt pour modèle. (...) G[uénon] se prétendait un templier réincarné, se disant nommé par Jacques de Molay pour réveiller l'Ordre du Temple, se livrant à des séances de spiritisme pour élaborer le rituel du nouvel Ordre. On enseignait, dans l'Ordre Rénové du Temple, qu'aucune religion ne devait avoir supériorité sur une autre, et l'on s'y efforçait d'y "introniser l'Eglise Gnostique", dont G[uénon] était évêque sous le nom de son éminence Tau Palingénius. »
« Nous ne comptons plus les excommunications
lancées contre nous par la sainte Eglise romaine,
ce dont nous nous faisons gloire d'ailleurs.»
René Guénon, 22 février 1909.
Les déclarations de ce nouvel Ordre étaient d’ailleurs d’une telle hostilité à l’égard de l’Ordre Martiniste de Papus, qui s’exprimait par des libelles d’une violence inouïe, que tout cela éveilla quelque peu les soupçons des milieux initiatiques, et même cléricaux, qui jugèrent relativement inquiétants les projets de l'Ordre du Temple Rénové.
En réponse, sans s’en inquiéter outre mesure, Guénon déclara : « Nous ne comptons plus les excommunications lancées contre nous par la sainte Eglise romaine, ce dont nous nous faisons gloire d'ailleurs.» (L'Acacia, 22 février 1909). Nous n’insisterons pas sur les déclarations outrancières et les actions hostiles de Guénon, Albéric Thomas et ses amis à l’égard de Papus et de l’Ordre Martiniste ; ces faits démontrent amplement par quel type « d’esprit » était animée l’entreprise spirite de l’Ordre du Temple Rénové.
Plus grave en revanche, furent les attaques, ayant pour but d’atteindre l’initiation martiniste, attaques dirigées principalement contre Louis-Claude de Saint-Martin qui fut ainsi la victime indirecte du combat dans lequel s’étaient engagés les membres de l’Ordre du Temple Rénové vis-à-vis de Papus et de son Ordre.
Le Chevalier de la Rose Croissante,
écrivit une Nouvelle Notice
sur le martinézisme et le martinisme,
qui amplifiait plus encore les attaques contre Saint-Martin.
En effet, alors que Papus publiait ses ouvrages sur Martinès de Pasqually, sa vie – ses pratiques magiques – son œuvre – ses disciples (Chamuel, 1895) et sur Louis-Claude de Saint-Martin... (1902), un anonyme « Chevalier de la Rose Croissante » faisait éditer Le Traité de la réintégration des êtres(1899) de Martinès de Pasqually, et Les Enseignements secrets de Martinès de Pasqually précédé d'une Notice sur le martinézisme et le martinisme(1900). Ce dernier ouvrage était précédé d’une Notice sur le martinézisme et le martinisme, en réalité un long développement de la Préface à l'édition du Traité de la réintégration des êtrespublié en 1899 chez Paul Chacornac. Les propos que le Chevalier de la Rose Croissante avait crus bon de faire figurer dans sa Préface, conduisirent la revue L'Initiationdirigée par Papus, et malgré l’intérêt du sujet, à ignorer purement et simplement cette publication.
Le Chevalier de la Rose Croissante, visiblement satisfait de son œuvre, reprit donc son texte afin d’écrire un Nouvelle Notice sur le martinézisme et le martinisme, qui amplifiait plus encore les charges agressives contre Saint-Martin. Beaucoup s’interrogèrent, on pensa tout d’abord que le Chevalier de la Rose Croissante était René Philipon (1870–1936), compagnon de Papus, éditeur de la Bibliothèque Rosicrucienne d’Henri Chacornac (1855–1907), collaborateur de la Revue « L’Initiation » (1895) sous le pseudonyme de Jean Tabris. Il n’en était rien. C’est René Guénon, qui avait déjà publié sous le pseudonyme du Sphinx un article intitulé : Quelques documents inédits sur l'Ordre des Elus Coëns, dans La France antimaçonnique (23 avril 1914), revue ultra catholique luttant contre « l’influence de la juiverie et de la maçonnerie » (sic), qui livra au grand public la vérité en 1936 dans les Etudes Traditionnelles (bien que dans l’Acacia en 1907, avait déjà été révélé le nom de l’auteur) : Le, mystérieux Chevalier de la Rose Croissante n’était autre qu’Albéric Thomas [3], le co-fondateur avec Guénon de l’Ordre du Temple Rénové.
V. Albéric Thomas, alias Tau Marnès, et sa Notice sur le martinézisme et le martinisme
Ainsi, le mystérieux Chevalier de la Rose Croissante se révélait être Alexandre-Albéric Thomas, évêque gnostique sous le nom de Tau Marnès, qui avait été reçu Supérieur Inconnu dans l’Ordre Martiniste en 1893, actif secrétaire de la Grande Loge Misraïmite, également secrétaire de la revue La Gnose, organe de l’Eglise Gnostique, membre de l'Ordre Rénové du Temple fondé par René Guenon. Albéric Thomas, Tau Marnès, auteur de cette charge violente dirigée contre Saint-Martin, l’accusait tour à tour d’être un fauteur de trouble, de promouvoir un « mysticisme » incomplet et passif, d’être l’artisan d’une « propagande » contre les coëns et de s’être fait, dans sa volonté de mettre fin aux pratiques externes de la théurgie de Martinès, « l’agent de la volonté perverse du Malin » (sic), c’est-à-dire, rien moins que le délégué de l’intention du diable lui-même !
Pour Albéric Thomas, aliasTau Marnès,
Saint-Martin en mettant fin à la théurgie de Martinès,
se fit « l’agent de la volonté perverse du Malin » !
a) Propos véhéments contre Saint-Martin
Lisons le Chevalier de la Rose Croissante, Albéric Thomas alias Tau Marnès, pour se rendre compte des reproches véhéments qui étaient fait à Saint-Martin :
«Certains disciples de Martinès de Pasqually entraînés par l'exemple de Saint-Martin, abandonnaient la pratique active pour suivre la voie incomplète et passive du mysticisme. Ce changement de direction dans la vie de Saint Martin pourrait nous surprendre si nous ne savions pas combien, durant les cinq années qu'il passa à la loge de Bordeaux, le disciple avait eu d'éloignement pour les opérations extérieures du Maître. »
« Les résultats de la scission due à l'active propagande de Saint-Martin ne se firent pas attendre. Tout d'abord les loges du sud-ouest cessèrent leurs travaux.» [4]
Plus encore sévères, les considérations d’Albéric Thomas dans la version étendue de la Nouvelle notice sur le martinézisme et le martinisme, publiée dans le volume contenant les Enseignements secrets de Martines de Pasqually de Franz von Baader, dans laquelle était relaté le célèbre épisode du passage de Saint-Martin dans le Temple coën de Versailles où il fit savoir aux émules qu’ils en en restaient « à une initiation selon les formes » :
« …cette visite aux Elus Coëns de Versailles, sur laquelle Saint-Martin glisse si rapidement dans les notes de son « Portrait » qu'il oublie de mentionner le nom même du frère Salzac, nous est racontée en détail par ce dernier dans une curieuse lettre dont voici la teneur : »
Suivent les documents :
- Lettre inédite au frère Frédéric Disch, de Metz. Anciennes archives Villaréal. E. Vl.
- Extrait d'une lettre an baron de Liebisdorf publiée par MM. Schauer et Alp. Chuquet, in Correspondance inédite de L. C. de Saint-Martin, Paris, Dentu. 1862, p. 15.
- Lettre inédite au frère Frédéric Disch, de Metz. Anciennes archives Villaréal, E. VII.
b) Signe des attaques ad hominem contre Saint-Martin
Les commentaires d’Albéric Thomas, s’appuyant sur les considérations des disciples de Martinès, sont très critiques, comme on peut en juger, accusant Saint-Martin d’être un « théosophe délicat » (sic), de « maladresse », « d’inconséquence », de « séduction trompeuse », « d’ambitions mondaines », de « propagande », d’avoir mis fin aux « fruits des travaux », d’être « dépourvu de sens initiatique », de « rechercher des gens qui pensent comme lui », de « n’initier personne » « d’ébranler la confiance des émules » et pour finir, une nouvelle fois, de « mysticisme contemplatif ».
On remarquera d’ailleurs, alors que Saint-Martin rejeta en effet les pratiques théurgiques et les méthodes de Martinès, à aucun moment ne se lança dans des attaques ad hominem contre Pasqually, pour lequel il manifesta toujours un réel respect, se refusant à des propos violements hostiles à l’encontre de son premier maître. Il en ira tout différemment avec Albéric Thomas, qui se crut autorisé à flétrir grossièrement le Philosophe Inconnu par différents noms d’oiseaux, attitude si caractéristiques des milieux guénoniens, et dont Guénon lui-même se fit une spécialité dans ses controverses. Ce quasi « marqueur » détestable, qui signe nettement l’origine des charges anti-martinistes, est un point qui est à souligner, montrant la faiblesse des esprits incapables de se cantonner à une réfutation des théories qu’ils refusent, pour déverser sur les êtres et les personnes un flot grossier de propos hostiles comme on peut en juger :
« C'est en effet ce dont ne s'aperçoit pas Saint-Martin, chez lequel ces inconséquences sont assez fréquentes. »
« Cette seconde lettre est plus sévère pour Saint-Martin. Elle nous montre qu'un certain nombre d'Elus Coëns avaient été séduits, dès 1777, par les propositions d'un frère dont, comme le dit Salzac, tous louaient la vertu, et que ces Elus Coëns se trouvaient par suite en « méchante posture » puisque, peu satisfaits sans doute des « fruits » promis par Saint-Martin, ils avaient voulu reprendre leurs anciens travaux et n'obtenaient plus « aucun des fruits qui faisaient autrefois leur joie. » Mais passons. »
A la lecture d'une telle déclaration on comprend combien il est puéril de soutenir que Saint-Martin est le continuateur de Martinès de Pasqually. A la vérité on peut dire que Saint-Martin n'a jamais eu le sens de la méthode initiatique. Il est convaincu et cela lui suffit pour croire qu'il convaincra aisément les autres. Dans son apostolat il abandonne rapidement ceux qui font quelques difficultés pour « partager ses objets ». Il les considère comme des « passades », et ne s'aperçoit pas que toute sa mission consiste à rechercher des gens, qui pensent comme lui. Aussi sa vie est-elle bien différente de celle de Martinès de Pasqually. Alors que ce dernier initiait lentement et dans le plus grand secret, Saint-Martin, qui n'initie personne et qui n'a rien à cacher, multiplie ses voyages et opère au grand jour dans la société la plus mondaine. C'est ce qui a fait écrire à M. Matter : «(…) Le disciple différait singulièrement du maître. Loin de vouloir à son exemple cacher sa vie et végéter dans des assemblées mystérieuses, le Philosophe Inconnu aspirait en réalité à être le philosophe connu. »
« Si son ancien maître est un véritable théurge, Saint-Martin est bien un mystique contemplatif à qui répugne tout genre actif ; ou plutôt, c'est un théosophe à la manière de Priscus de Molosse. L'astral l'effraie; il en écarte soigneusement ses auditeurs et ses lecteurs. Lui-même se félicite d'avoir si peu d'astral ; et, quant aux opérations théurgiques : « Je suis bien loin, dit-il, d'avoir aucune virtualité dans ce genre, car mon œuvre tourne tout entier du côté de l'interne. »
« Les procédés théurgiques du juif portugais étaient trop violents pour sa théosophie délicate et rêveuse. »
« Le fait est que Saint-Martin s'intéressa de moins en moins à ces initiations et à ces opérations auxquelles on l'avait « livré » si longtemps. Bien plus, il ne cessa jamais de les proscrire, et fut en somme un irréductible adversaire de ce que l'on appelle : sciences occultes. De leur côté, les Élus Coëns, restés fidèles aux sciences maçonniques, furent naturellement aussi peu satisfaits d'une propagande qui ébranlait la confiance des émules dans les travaux traditionnels... » [5]
VI. René Guénon et Albéric Thomas : une violente hostilité envers Saint-Martin
On imagine la réaction absolument scandalisée des milieux martinistes à de telles outrances, et la contrariété de Papus et Téder en tant que responsables de l’Ordre Martiniste, incrédules devant la manifestation d’une si violente hostilité rageuse à l’égard du Philosophe Inconnu.
Papus et Téder en tant que responsables de l’Ordre Martiniste
restèrent incrédules devant la manifestation
d’une si violente hostilité à l’égard du Philosophe Inconnu
Pourtant, dans la revue l’Acacia en 1907, Albéric Thomas en réponse à un Frère dénommé Limousin, expliquait tranquillement l’écriture de son texte en le qualifiant certes d’excessif, mais tout en s’en faisant gloire : « (…) L’ouvrage dont vous me parlez se compose en effet d’une lettre de Baader, précédée d’une Notice historique sur le Martinésisme et le Martinisme. La lettre de Baader n’était pas inédite. Elle fut traduite d’une revue étrangère par les soins de M. Philipon. Quant à la Notice excessive qui précède cet opuscule et qui est signée de l’aimable pseudonyme Un Chevalier de la Rose Croissante, elle n’est pas de M. Philipon. Il serait injuste que ce dernier endosse les injures de M. Téder, dévoué champion de Papus. C’est moi, mon Très Cher Frère, qui suit le Chevalier de la Rose en question. Quand on prend de la rose, on n’en saurait trop prendre, et cela ne gêne personne. Mais cette fleur éminemment symbolique ayant des épines, comme toute rose qui se respecte, ces épines incommodèrent M. Papus et par surcroît M. Téder : Indeirae. » [6]
Il nous semble inutile d’y insister, les exemples cités étant plus qu’éloquents, montrant le rejet critique d’Abéric Thomas, sous le pseudonyme d’un Chevalier de la Rose Croissante, à l’égard de la voie interne proposée par Saint-Martin. Pourtant, ces injustes critiques « excessives » d’Albéric Thomas, que l’on voit reproduites parfois aujourd’hui – quoique fort heureusement assez rarement - ne sont en réalité que l’exposition de vieux griefs classiques qui n’ont rien de bien nouveaux, tout cela relevant de l’outrance et du mauvais esprit qui, comme toujours, témoignent de l’absence de qualification sur le plan spirituel. Plus intéressant est de savoir qu’elle est l’origine de la thèse qui sous-tend ces violentes critiques. Cette origine n’est pas compliquée à découvrir, il s’agit de la thèse guénonienne bien connue à l’encontre de Saint-Martin décrié en raison de son prétendu « mysticisme passif », désigné par l’évêque gnostique Tau Marnès, de son état secrétaire de la revue la Gnose déguisé pour l’occasion en défenseur des élus coëns et de leur Grand Souverain Martinès sous le pseudonyme d’un Chevalier de la Rose Croissante, comme « propagandiste» (sic), « fauteur de désordre », avocat d’une « voie incomplète et passive du mysticisme », coupable « d’ébranler la confiance des émules », et, pour couronner le tout, « l’agent de la volonté perverse du Malin ».
VII. Les critères guénoniens et leur validité
Si ces considérations guénoniennes participent de vues polémiques stériles et fantaisistes, suffisamment dénuées de fondements pour qu’il ne soit pas nécessaire de les réfuter, tant d’absurdités dispensées avec une légèreté conjuguant l’ignorance de ce qu’est la perspective de la théosophie chrétienne, et la mauvaise foi s’agissant de l’intention de Saint-Martin dans son action auprès des émules de Martinès, disqualifiant immédiatement et absolument les auteurs de telles lignes, il est néanmoins intéressant de comprendre au nom de quels principes ces jugements furent dispensés contre Saint-Martin par les responsables de la revue la Gnose., organe mensuel de l’Eglise Gnostique.
a) Les élus coëns relèvent de l’ésotérisme pour Guénon
En réalité, l’identité de vue entre Albéric Thomas et Guénon, vient du fait qu’ils se firent les défenseurs de Martinès de Pasqually contre Saint-Martin au prétexte que les élus coëns selon eux, puisque maçons, possédaient un caractère initiatique, alors que la voie saint-martiniste, évidemment distante de la maçonnerie dont elle s’écartait, relevait, selon la grille analytique de la doxa guénonienne, du « mysticisme » chargé de tous les maux par le tenants de la Tradition primordiale, et surtout étranger aux domaines de l’ésotérisme puisque relevant, d’après ces critères, d’une forme inférieure de piété passive limitée au domaine individuel, n’accédant pas, puisqu’en restant au salut personnel par la prière, à la possibilité d’une délivrance en mode général et englobant, soit la fameuse « réintégration universelle » dans le langage de Martinès.
Logiquement, Saint-Martin, après avoir été caricaturé violemment par Albéric Thomas, fit ensuite les frais des foudres de René Guénon, en des termes voisins de ceux utilisés par le Chevalier de la Rose Croissante : « Ce cas de Saint-Martin, écrit Guénon, doit nous retenir un peu plus longtemps ne serait-ce qu’à cause de tout ce qu’on a prétendu faire sortir de là à notre époque ; la vérité est que, si Saint-Martin abandonna tous les rites maçonniques auxquels il avait été rattaché, y compris celui des Elus Coens, ce fut pour adopter une attitude exclusivement mystique, donc incompatible avec le point de vue initiatique…» [7]
b) L’ignorance de la théosophie saint-martiniste
L'étroitesse de vue par rapport à tout ce qui touche à la spiritualité chrétienne se retrouve dans les jugements à l'emporte-pièce d’Albéric Thomas et de René Guénon, et il serait relativement aisé de démontrer que l'attitude de Saint-Martin, lors de son abandon des rites de la théurgie externe, ne consista pas à se muer en un « mysticisme » passif, sachant que sous la plume de Guénon ce qualificatif est équivalent au mode d'expression d'une matière religieuse dépendante de l'exotérisme institutionnel.
Saint-Martin, bien au contraire, proposa une démarche initiatique intérieure infiniment exigeante - une voie selon « l'interne » pour reprendre la terminologie saint-martiniste – capable de dépasser les formes en effet, car elles ont a être dépassées aujourd’hui depuis la venue du Christ, en s'engageant dans une découverte de plus en plus approfondie et intime de la « Réalité » supérieure afin que l’homme puisse pleinement « activer » ce que le Divin Réparateur lui a acquis par son saint Sacrifice : l’entrée dans le Sanctuaire du Ciel.
La voie selon l’interne de Saint-Martin,
n’est ni de la religiosité passive, ni du « piétisme »,
comme l’en accuse René Guénon,
elle relève de la théosophie.
Cette voie, n’est ni de la religiosité passive, ni du piétisme, mais correspond à l’exigence évangélique du culte nouveau « en esprit et en vérité », qui n’est plus « matériel-temporel » mais spirituel (« Mais l’heure vient, et elle est déjà là, où les vrais adorateurs adoreront le Père par l’Esprit et en vérité car le Père recherche des hommes qui l’adorent ainsi», Jean IV, 23), relève de la théosophie. Or la théosophie est un domaine particulier qui met en déroute les considérations limitées, c'est une "mystagogie" de nature sophianique.
Comme le rappelle fort justement Robert Amadou (1924-2006) : « La théosophie, qui n'est pas la philosophie, n'est pas davantage la théologie et elle constitue une forme particulière de la mystique qu'on nomme spéculative Mais elle réconcilie la philosophie et la théologie. Voyez ce qu'on peut tirer de là quant à la signification de la théosophie au siècle des Lumières. La théosophie est un illuminisme, car la lumière, même parfois physique, est le symbole privilégié de la Sagesse et la quête sophianique est celle de l'illumination. Et c'est une quête en profondeur; de l'intérieur, par l'intérieur (I'interne, dit Saint-Martin), donc un ésotérisme. » [8]
« La théosophie est un illuminisme,
car la lumière est le symbole privilégié de la Sagesse
et de la quête sophianique (…).
La théosophie saint-martinienne
est une mystagogie de la génération spirituelle.»
La théosophie à laquelle invite Saint-Martin, poursuit Robert Amadou : « prescrit une activité ad extra que Kirchberger, ami de Saint-Martin, qualifiait de scientifique et une activité ad intra que le même qualifiait d'ascétique). Ces deux activités, dont Saint-Martin souligne la conjugaison, procèdent d'une même vision unitaire de Dieu, de l'homme et de l'univers, de leurs rapports donnés en un tableau naturel, dont précisément la Sagesse fait à la fois l'œil et l'objet.Nous sommes tous veufs, notre tâche est de nous remarier. Nous sommes tous veufs de la Sagesse. C'est après l'avoir épousée, et d'abord cherchée puis courtisée, que nous pourrons engendrer le nouvel homme en nous, devenir nouvel homme. Or, tout est lié au nouvel homme : la médecine vraie, la royauté vraie, la poésie vraie, le sacerdoce vrai ne peuvent être exercés que par l'homme régénéré, autrement dit le nouvel homme. La théosophie saint-martinienne est une mystagogie de la génération spirituelle. » [9]
VIII. La problématique utilisation des critères guénoniens
Quel rapport peut-on trouver entre cette « voie » et le « mysticisme » tel que pensé, exposé et décrié selon les schémas guénoniens ? Mystère ! Et mystère d'autant plus étrange que pas une fois Guénon soupçonna, ou peut-être ne voulut admettre, que ce que proposait Saint-Martin dans ses ouvrages et au cercle de ses intimes, n'était en réalité que la traduction directe de la pensée de Jacob Boehme (1575-1624) dont il n'apparaît pas qu'elle fût négativement considérée par le maître du Caire, qui, bien au contraire, lui témoigna même un certain respect et une visible reconnaissance de sa valeur spirituelle.
Pourtant, Guénon et Albéric Thomas rejetèrent fortement Saint-Martin, non seulement en raison de leur rancœur envers Papus et de l’Ordre Martiniste, mais au prétexte que la voie selon l’interne préconisée par le Philosophe Inconnu avait été un « germe destructeur » pour les élus coëns en détournant les émules de leurs opérations, encourageant les Frères à abandonner les pratiques externes.
Ce jugement guénonien, qui pourrait être partagé par quelques modernes admirateurs de l’Ordre de Pasqually, est néanmoins inexact et profondément erroné, car les germes destructeurs qui entraînèrent la disparition des coëns se trouvaient précisément chez les coëns eux-mêmes. Il n’y avait nul besoin pour cela de l’action de Saint-Martin : le désordre qu’il y régnait, d’autant plus depuis le départ de Martinès, l’absence de certains rituels en particulier pour le grade de Réau-Croix, les conflits multiples qui étaient survenus, les importantes contradictions internes dans l’organisation, le caractère inapplicable des Statuts Généraux de 1767, les approximations nombreuses, les erreurs graves, en particulier sur le plan trinitaire et christologique qui ne sont d’ailleurs pas sans expliquer en quoi les pratiques théurgiques, provenant de sources occultistes, kabbalistiques et magiques, présentèrent une difficulté réelle pour certains émules, comme Jean-Jacques du Roy d’Hauterive qui réagira avant même Saint-Martin sur ce point, non oublieux des leçons de l’Evangile qui expliquent que c’est dans le seul Nom de Jésus-Christ que l’homme est lavé et régénéré, c’est tout cela qui contribua à la disparition de l’Ordre de Martinès et rien d’autre.
Si cette œuvre avait été de Dieu, l’Histoire l’aurait conservée ; si le ciel l’avait souhaité la Providence aurait donc veillé sur l’Ordre de Martinès et n’aurait pas permis sa disparition.
Or La Providence et l’Histoire n’ont pas voulu que perdure l’Ordre des élus coëns. C’est un fait objectif incontestable, et comme le dit la sentence scolastique : contra factum non datur argumentum.
a) Le danger des thèses guénoniennes pour les « néo-coëns » de désir
Cependant on rappellera, par charitable amitié préventive, que s’il s’avérait, à Dieu ne plaise, que soient repris de tels arguments guénoniens qui conjuguent l’ignorance et l’hostilité par les « néo-coëns » de désir d’aujourd’hui qui se rattachent à l’une des deux résurgences contemporaines (Bricaud – Lagrèze) - sur lesquelles d’ailleurs il y aurait beaucoup à dire – ce serait encourir pour eux un risque majeur de "choc en retour" extrêmement dangereux.
Pourquoi ?
Tout simplement parce si étaient utilisés imprudemment les arguments de Guénon ou d’Albéric Thomas, ceux qui s’y risqueraient seraient pris au piège, brutal, de la logique qui sous-tend la thèse anti-martiniste des rédacteurs de la Gnose, logique qui forme un tout indissociable avec son préliminaire critique, au sujet des « transmissions illusoires», puisque la chaîne initiatique avec l’Ordre des élus coëns a été brisée par l’Histoire, cette dernière n’ayant pas voulu de l’Ordre de Martinès.
En effet, la thèse d’Albéric Thomas, telle que présentée dans l'Acacia en 1907 était «qu’il n'y a jamais eu de Martinisme issu de Saint-Martin, mais plutôt un Papusisme imaginé par Papus, et que ce dernier ne commença à lancer sous ce nom de Martinisme qu'en 1889 ». Cette thèse, qui était dirigée contre Papus et son Ordre, est celle qui explique le violent argumentaire contre Saint-Martin, car Albéric Thomas voulait montrer que Saint-Martin ne fonda aucun Ordre, ce qui est vrai, mais de plus regrette vivement que les coëns n’existent plus dans la mesure où leur essence maçonnique, comme nous l’avons déjà souligné, leur conférait pour les critères du secrétaire de l’Eglise Gnostique, un caractère initiatique.
Mais allons plus avant dans notre question.
b) Les néo-coëns relèvent pour Guénon des initiations factices
On ne peut manipuler sans risques immenses
des arguments empruntés à des courants
qui ont toujours manifesté une constante hostilité
à l’égard de l’illuminisme chrétien
Que diraient les adversaires anti-papusiens de Saint-Martin face à ceux, « néo-coëns » de désir actuels qui éventuellement reprendraient leurs griefs exprimés envers le Philosophe Inconnu, ceci tout en se revendiquant des résurgences contemporaines de l’Ordre ?
Il n’est pas bien difficile de le savoir : les admirateurs de Martinès s’imaginant être reliés « idéalement » aux coëns du XVIIIe siècle par l’effet d’un influx sui generis seraient regardés, et l’ont été d’ailleurs par les milieux guénoniens qui ne se privent pas de l’affirmer depuis des décennies, comme relevant des initiations factices et trompeuses dénuées de toute validité traditionnelle, c’est-à-dire se situant au sein d’initiations nulles et vides, œuvrant et opérant au sein de cercles qui sont des contrefaçons pseudo-initiatiques, en un mot, sur le plan concret, se trouvant à l’intérieur de structures qui ne sont qu’un « pur néant ».
Voici ce qu’écrit Guénon sur ce sujet : « Le rattachement à une organisation traditionnelle régulière, avons-nous dit, est non seulement une condition nécessaire de l’initiation, mais il est même ce qui constitue l’initiation au sens le plus strict, tel que le définit l’étymologie du mot qui la désigne… le rattachement dont il s’agit doit être réel et effectif, un soi-disant rattachement « idéal » [ce soi-disant rattachement «idéal », par lequel certains vont jusqu’à prétendre faire revivre des formes traditionnelles entièrement disparues, tel que certains se sont plu parfois à l’envisager à notre époque] , est entièrement vain et de nul effet … …» [10]
Il rajoute :
« A défaut de filiation régulière, la, transmission de l’influence spirituelle est impossible et inexistante, si bien que, en pareil cas, on n’a affaire qu’à une vulgaire contrefaçon de l’initiation. A plus forte raison en est-il ainsi lorsqu’il ne s’agit que de reconstitutions purement hypothétiques, pour ne pas dire imaginaires, de formes traditionnelles disparues depuis un temps plus ou moins reculé, (…) et, même s’il y avait dans l’emploi de telles formes une volonté sérieuse de se rattacher à la tradition à laquelle elles ont appartenu, elles n’en seraient pas plus efficaces, car on ne peut se rattacher en réalité qu’à quelque chose qui a une existence actuelle, et encore faut-il pour cela, comme nous le disions en ce qui concerne les individus, être « accepté » par les représentants autorisés de la tradition à laquelle on se réfère, de telle sorte qu’une organisation apparemment nouvelle ne pourra être légitime que si elle est comme un prolongement d’une organisation préexistante, de façon à maintenir sans aucune interruption la continuité de la « chaîne » initiatique. » [11]
Enfin :
« Il ne faut pas, à cet égard, se laisser duper par les dénominations que s’attribuent certaines organisations qui n’y ont aucun droit, mais qui essaient de se donner par là une apparence d’authenticité si l’on admet que la constitution de quelques-unes de ces groupements procède d’un désir sincère de se rattacher « idéalement » aux [Guénon écrit Rose-Croix mais l’exemple vaut pour les coëns], ce ne sera encore là, au point de vue initiatique, qu’un pur néant. Ce que nous disons sur cet exemple particulier s’applique d’ailleurs pareillement à toutes les organisations inventées par les occultistes et autres « néo-spiritualistes » de tout genre et de toute dénomination, organisations qui, quelles que soient leurs prétentions, ne peuvent, en toute vérité, être qualifiées que de « pseudo-initiatiques », car elles n’ont absolument rien de réel à transmettre, et ce qu’elles présentent n’est qu’une contrefaçon, voire même trop souvent une parodie ou une caricature de l’initiation. » [12]
Nous n’y insisterons pas plus ; on voit suffisamment que dans ces domaines on ne peut manipuler sans risques immenses, pour faire valoir ses positions, des arguments empruntés à des courants auxquels on est étranger et qui ont toujours manifesté une constante hostilité à l’égard de l’illuminisme chrétien, Guénon et son comparse Albéric Thomas, le rédacteur de l’excessive Notice sur le Martinézisme et le Martinsme, sous le nom d’un Chevalier de la Rose Croissante, incarnant par excellence cette tendance critique et sa logique corolaire à l’exigeant juridisme traditionnel en matière de transmission.
Conclusion
Il apparaît donc clairement, loin des caricatures outrancières du Chevalier de la Rose Croissante, que la perspective de Saint-Martin n’est pas réductible au « mysticisme personnel » que fustigea ensuite Guénon la réduisant à un « piétisme individuel » auquel il assimila le Philosophe Inconnu.
L’initiation de Saint-Martin est, positivement, la formulation la plus aboutie d’une « voie » de réalisation spirituelle incomparable, proposant et exposant une possibilité de réunion et d’union de l’âme à la Divinité, dans la pure et authentique continuité des maîtres instruits et « illuminés » de la pensée chrétienne, c’est-à-dire, en parfait accord avec le magnifique courant de la Théosophie sophianique qui perdura, avec ceux qui accueillirent avec enthousiasme la pensée du Philosophe Inconnu et se mirent à son école, formant, principalement dans les pays du Nord où Saint-Martin bénéficia d’une indéniable écoute, un riche courant se revendiquant ouvertement de la précieuse influence du théosophe français dont les écrits seront diffusés par Mathias Claudius (1740-1815) (traducteur Des erreurs et de la vérité en 1782), Johann Friedrich Kleuker (1749-1821) et Gottlieb Heinrich von Schubert (1780-1860), influençant Jung-Stilling (1740-1817), Jacobi (1743-1819), Diethelm Lavater (1743-1826) et Justinus Kerner (1786-1862), sans oublier celui qui, en raison de son immense rayonnement fut surnommé le « mage du Sud », Friedrich Christoph Oetinger (1702-1782), laissant une œuvre personnelle du plus haut intérêt, travail, en partie, à l'origine des travaux réalisés par l’admirateur de Joseph de Maistre et Saint-Martin, c’est-à-dire le très pertinent et fécond érudit Franz von Baader (1765-1841).
En parfaite unité avec les auteurs vénérables dont l’Histoire nous donne de découvrir les noms, nous percevons en quoi Louis-Claude de Saint-Martin, au XVIIIe siècle, fut l’héritier direct et le relais fécond d’un très ancien courant qui traverse toutes les périodes de la Révélation, plongeant ses vivantes racines dans les premiers temps de l’humanité, recueillant les précieuses lumières du culte et de la prière d’Abel afin qu’elles soient capables, par les effets de la sainte grâce du Ciel, de secrètement nourrir, et surtout régénérer, l’esprits de l’homme de désir , lui donnant de recouvrer non seulement la plénitude de sa primitive innocence, mais de participer avec la Divinité à la célébration de l’éternelle communion par la vertu réconciliatrice et rédemptrice acquise du Divin Maître Réparateur.
« Admirer et adorer constituent le privilège de l'homme
et la base sur laquelle doit reposer son mariage
au temporel et au spirituel.
Il faut s'occuper de l'homme-esprit et de la pensée
avant de s'occuper des faits,
afin que germe ou sorte notre propre révélation,
car toute chose doit faire sa propre révélation. »
(R. Amadou, La Théosophie de Saint-Martin).
A lire :
René Guénon et le Rite Ecossais Rectifié
Editions du Simorgh, 2007.
(Ch. VII. L’incroyable confusion de Guénon
vis-à-vis de la théosophie « saint-martiniste »)
A paraître :
René Guénon, l’ésotérisme et la franc-maçonnerie
in Le Livre des Francs-Maçonneries, Editions Robert Laffont, coll. Bouquins (2012).
Notes.
1. Jules Doinel fut l’objet, lors de la séance spirite fondatrice de l’Eglise gnostique chez Lady Caithness en 1889, d’une révélation de la part d’un « esprit » qui se présenta comme étant Guilhabert de Castres, évêque cathare qui disait en substance : « Moi, Guilhabert de Castres, entouré des martyrs de Montségur, je t'ordonne, Jules Doinel, de rénover la gnose. Tu seras patriarche sous le nom de Valentin II". Et Doinel sentit sur sa tête les mains de Guilhabert de Castres lui donnant l'investiture... "au nom des Saints Eons"....» (Cf. Quelques souvenirs sur René Guénon et les "Études Traditionnelles", Dossier confidentiel inédit).
2. La Hermetic Brotherhood of Luxor (Fraternité Hermétique de Louxor), organisation d’occultisme théurgique pratique et « opératoire» qui se fit connaître en 1870 sera qualifiée par Guénon comme étant : « une des rares Fraternités initiatiques sérieuses qui existent encore actuellement en Occident. Elle est étrangère à tout mouvement occultiste, bien que certains aient jugé bon de s’approprier quelques-uns de ses enseignements, en les dénaturant d’ailleurs complètement pour les adapter à leurs propres conceptions ». (Les Néo-spiritualistes, La Gnose, 1911).
3. « Signalons incidemment une petite erreur : M. van Rijnberk, en parlant de ses prédécesseurs, attribue à M. René Philipon les notices historiques signées « Un Chevalier de la Rose Croissante » et servant de préfaces aux éditions du Traité de Ia Réintégration des Êtresde Martines de Pasqually et des Enseignements secrets de Martines de Pasquallyde Franz von Baader publiées dans la « Bibliothéque Rosicrucienne ». Étonné de cette affirmation, nous avons posé la question à M. Philipon lui-même ; celui-ci nous a répondu qu’il a seulement traduit l’opuscule de von Baader, et que, comme nous le pensions, les deux notices en question sont en réalité d’Albéric Thomas. » (R. Guénon, L’énigme Martinès de Pasqually, Études Traditionnelles, mai à juillet 1936).
4. Cf. Un Chevalier de la Rose Croissante, Paris, 20 septembre 1898, jour anniversaire
de la mort de Martinès de Pasqually, texte publié en introduction à la première édition du Traité de la réintégration des êtres dans leurs premières propriétés, vertus et puissances spirituelles et divines, Bibliothèque Chacornac, coll. « Bibliothèque Rosicrucienne », 1899.
5. Un chevalier de la Rose Croissante, Paris, 19 décembre 1899, jour anniversaire de la mort de Caignet de Lisière, successeur de Martinès de Pasqually, in Nouvelle notice sur le martinézisme et le martinisme.
6. A. Thomas, l’Acacia, 1907, Cf. J.-L. Boutin, Le Chevalier de la Rose Croissante, in Bulletin de la société Martinès de Pasqually, n° 17, novembre 2007.
7. R. Guénon, L’Enigme de Martines de Pascally, article publié dans les « Etudes Traditionnelles », mai à juillet 1936, à propos de l’ouvrage de Gérard van Rijnberk : Un thaumaturge au XVIIIe siècle : Martines de Pasqually, sa vie, son œuvre, son Ordre, Félix Alcan, 1936, in Etudes sur la Franc-maçonnerie et le Compagnonnage, t. 1, Editions Traditionnelles, 1991, p. 85. Voir également, sous le pseudonyme « Le Sphinx », « Quelques documents inédits sur l'ordre des Elus Coens», La France antimaçonnique, 23 avril, 21 et 25 mai, 4 juin, 9 juillet 1914.
8. R. Amadou, La Théosophie de Saint-Martin, in Martinisme, Documents martinistes, 2e éd. Les Auberts, Institut Eléazar, 1993.
9. Ibid. A propos de l’excellence de la prière intérieure que préconise Saint-Martin, on se souviendra que l’exigence de la sainte communion qu’imposait Martinès à ses émules avant les "opérations" - et que l'on voudrait présenter comme la protection idéale contre les pratiques théurgiques dangereuses - relève bien, une fois encore, de ce formalisme externe dont étaient frappés les coëns. Si l’efficacité de la « Présence réelle » sur les âmes en état de grâce n’est pas en cause dans leur relation à Dieu, néanmoins il convient d'avoir à l'esprit que l'on peut prendre l’eucharistie pendant des années en état de péché mortel et dans un cœur impur - ce qui conduit directement à ce que l’Eglise qualifie de « communion sacrilège » - rendant, certes, absolument sans fruit et sans effet cette communion indigne sur le plan de la grâce, mais ce qui a de plus pour conséquence, non seulement d’accroître l'état peccamineux de l'émule, mais aussi, et ce qui est à considérer attentivement, de le placer en situation de danger plus grand encore lors des cérémonies invocatoires puisque non pourvu d'une protection purificatrice. Combien bien plus juste et sage, on le voit, la position de Saint-Martin qui demande avant tout, dans la voie initiatique qui doit disposer de ses propres moyens, que le cœur soit purifié par la prière pour avancer vers Dieu, ceci d'ailleurs en parfait accord sur ce point avec les grands spirituels, rejoignant par exemple sainte Thèsrèse d’Avila (1515-1582) qui déclarait : « On peut communier tous les jours et vivre dans le péché, mais on ne peut pas faire oraison et rester dans le péché. » (Cf. Le Chemin de Perfection, 1576)
10. R. Guénon, Aperçus sur l’initiation, Editions Traditionnelles, 1946, p. 23.
11. Ibid., pp. 26-27.
12. Ibid., p. 27.
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